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souffrance. Trois symphonies le remplissent de leurs gémissemens et de leurs sanglots. L’une est la Symphonie funèbre. La seconde s’appelle la Passione. La dernière a pour titre : les Adieux. De celle-ci, la plus connue, on donne communément une interprétation anecdotique et plaisante. Le finale, où tous les instrumens cessent de jouer les uns après les autres, a toujours passé pour figurer une demande de congé successivement adressée à leur maître par les musiciens du prince Esterhazy. Mais l’idée, ou l’intention, d’après M. de Wyzewa, serait singulièrement plus grave. Dans cette requête, ou dans cette plainte, il faudrait entendre l’accent d’un plus impérieux et plus douloureux désir. Un drame, ou plutôt une tragédie encore, se joue, d’après M. de Wyzewa, dans chacune des deux autres symphonies, inopinées autant que pathétiques. Avec un sens à la fois très subtil et très sûr, j’admire comme notre confrère en a su rapporter chaque élément technique, tonalité, mouvement et le reste, au même éthos, au même idéal, imprévu et grandiose, de passion, d’angoisse et de désespoir.

Singulièrement émouvantes, ces œuvres d’exception se peuvent-elles expliquer par une émotion véritable, que Haydn aurait alors éprouvée ? À cette crise, en quelque sorte, de son art, une crise de son âme a-t-elle correspondu ? Les documens à cet égard sont muets. M. de Wyzewa lui-même n’a pu leur arracher un seul fait, un seul nom. Il a cherché vainement, dans l’ordre réel ou personnel, à travers la vie entière d’Haydn, l’inspiration, l’inspiratrice peut-être, de ces chefs-d’œuvre entre tous vivans. Une fois ou deux il a cru l’avoir trouvée. La chronique du temps rapporte qu’une charmante fille, Mlle Delphin, mourut comme l’héroïne du poète ’Elle aimait trop le bal, c’est ce qui l’a tuée), à la suite des fêtes données par le prince Esterhazy pour le prince de Rohan. La tradition assure aussi qu’une des trois symphonies, la Passione, aurait été composée, vingt ans avant la liaison avec la Polzelli, à la mémoire d’une personne aimée. Voilà tout ce qu’on raconte, et de plus, on ne fait que le raconter. Qu’importe ! Une seule chose, un seul trait, mais nouveau, mais décisif, est à retenir. Jusqu’ici la figure d’Haydn avait été peinte le sourire aux lèvres, en pleine lumière. Une ombre désormais s’y ajoute et donne au portrait, qu’elle achève, la seule beauté qui lui manquât, celle de la poésie et du mystère.

La gloire du maître en est accrue. En recevra-t-elle plus souvent notre public hommage ? « En théorie, dit avec beaucoup de raison Mlle Brenet, la place qui appartient à Haydn, entre Bach et Beethoven, dans la généalogie spirituelle des grands musiciens, ne lui est pas contestée ;