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débutant, que son autorité oratoire va d’un seul coup placer au premier rang.

Comme Bismarck, M. de Bülow est conservateur, conservateur dans l’ordre militaire, conservateur dans l’ordre diplomatique, conservateur des territoires conquis et de la prééminence assurée. Selon le mot de Guillaume II, « garder les glorieuses conquêtes par lesquelles Dieu a récompensé les luttes de l’Allemagne pour l’indépendance et pour l’unité est le plus saint des devoirs. » Garder l’Alsace-Lorraine, garder l’hégémonie de l’Europe, voilà le but. Pour l’atteindre, tous les moyens sont bons. Bismarck n’en a négligé aucun, passant avec la France de la provocation à la complaisance, avec l’Angleterre de la perfidie à la servilité, arrachant à la Russie la garantie d’une alliance conclue contre elle[1]. M. de Bülow est capable d’un éclectisme égal. Mais la situation pour lui n’est plus la même, L’Europe n’est plus le désert asservi où, de 1871 à 1891, la paix allemande a régné. La loi d’équilibre qui régit la matière internationale s’est réveillée. Et déjà se manifeste un de ces essais d’organisation dans l’égalité, qui suivent, comme une revanche, les périodes de suprématie.

C’est là un premier changement. Ce n’est pas le seul. En même temps que se groupaient les forces politiques, le champ de l’action internationale s’est démesurément élargi. L’Europe n’est plus l’unique échiquier de la diplomatie : l’univers s’ouvre à ses combinaisons. M. de Bülow, bismarckien par la méthode, sera un bismarckien « mondial. » C’est l’exigence du moment et le désir de l’Empereur. À l’appel de Guillaume II : « Notre avenir est sur l’eau, » l’Allemagne a répondu avec sa discipline habituelle. Elle n’a pas encore de marine de guerre ; mais elle est résolue à s’en donner une. Elle possède déjà une marine de commerce importante et ses commis voyageurs sont partis à la conquête des clientèles d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Dès 1885, à la commission d’enquête sur la baisse du commerce britannique, les succès de l’Allemagne ont été mis en lumière : « L’Allemagne, a dit un des déposans, a pris le chemin de nos marchés, l’adresse de nos cliens et, voyant nos bénéfices, elle a fabriqué nos marques. » En 1897, les consuls anglais écrivent : « Tout traduit au dehors le gigantesque effort de ce pays pour

  1. Contre-assurances de Skiernevice et de Berlin (1884-1888).