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sitoire contre l'encerclement, admet qu’on peut s’entendre avec d’autres puissances sans provoquer l’Allemagne, s’accommode en un mot des conditions nouvelles qu’il avait d’abord essayé de modifier. Le voyage d’Edouard VII à Londres (janvier 1909), les visites de Guillaume II à Brindisi et à Vienne (mai 1909), son entrevue à Björko avec Nicolas II (juin 1909), la visite du prince Henri de Prusse à Saint-Sébastien (juillet 1909), donnent pour la première fois une impression vraie de détente et d’apaisement. Avec son intelligence supérieure et son admirable souplesse, le chancelier allemand pourrait être, dans une nouvelle phase de sa carrière, l’homme de cette politique, et son tempérament optimiste y trouverait un champ favorable. Mais les difficultés intérieures en décident autrement. Après la solution de la crise orientale et le rapprochement avec la France, il s’en va du moins sur un double succès.

Ce succès fût venu plus tôt si la diplomatie du prince de Bülow avait moins tardé à se fixer, s’il avait moins longtemps cédé, dans le règlement du présent et la préparation de l’avenir, aux suggestions du passé. Il disait, il y a quatre ans : « Un double système d’alliances, dont l’un et l’autre sont pacifiques, assure l’équilibre de l’Europe. À ces alliances peuvent et doivent se superposer des amitiés. Vous êtes bien avec l’Italie : rien de mieux. Nous sommes bien avec la Russie : c’est parfait. Il faut seulement ne pas donner au rapprochement franco-italien un caractère anti-allemand, au rapprochement russo-allemand un caractère anti-français. Mais quoi de plus simple que de réaliser cette condition[1] ? » Il était, en effet, très simple de le faire ; mais, pendant cinq ans, le prince de Bülow ne l’a pas fait, et il a sa responsabilité dans la persistance de ce qu’il a appelé lui-même un « vaste malentendu[2]. » L’influence de son entourage, l’attrait de satisfactions apparentes, l’obsession des souvenirs bismarckiens expliquent ces incertitudes. L’Allemagne ne pouvait sans un effort laborieux s’adapter aux formes nouvelles de la politique. La division des autres lui apparaissait nécessairement comme le gage de sa puissance. La combinaison malaisée de la domination continentale et de l’expansion mondiale aggravait pour elle la difficulté du choix. Les crises qui ont agité le début de ce siècle étaient donc inévitables, et c’est un résultat appré-

  1. Le Temps, 5 octobre 1905.
  2. Reichstag, 28 novembre, 5 décembre 1907.