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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/347

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LE PRINCE DE BÜLOW.

ciable qu’elles ne soient pas passées du terrain diplomatique sur le terrain militaire.

Le prince de Bülow a conquis, malgré tout, pendant les douze années qu’il a dirigé la politique extérieure de l’Allemagne, une place éminente parmi les hommes d’État contemporains. Ceux mêmes qui l’ont combattu n’ont pas été insensibles à la séduction de son talent. Il possède toutes les qualités intellectuelles qui charment notre époque : une parfaite lucidité, une perception rapide des nécessités et des contingences, un scepticisme d’autant plus utile qu’il est parfois affecté, une fertile ingéniosité, un commerce d’un grand agrément, beaucoup d’éclat dans l’imagination et de simplicité dans l’attitude. Il plaît aussi par ses défauts qui ont quelque chose de féminin : la fantaisie, l’inconstance, l’inexacte évaluation des forces morales, une résistance obstinée à l’argument, une réelle indifférence aux démonstrations de la logique. Dans sa diplomatie, qualités et défauts se sont tour à tour manifestés. L’Allemagne aurait pu lui devoir, cinq ans plus tôt, une situation égale à celle dont elle bénéficie aujourd’hui. Mais elle aurait pu, en revanche, laisser échapper le succès final qu’il a réussi à lui assurer. L’œuvre du chancelier est imparfaite, comme toutes les œuvres humaines, inachevée comme toutes les œuvres politiques. On ne saurait cependant fermer les yeux à l’effort d’intelligence et de volonté dont elle témoigne, au souci élevé, qui l’a toujours inspirée, de ne pas jouer sur la carte d’une guerre les destinées de l’Allemagne et celles de l’Europe. Le prince de Bülow a provoqué parfois des conflits inutiles. Mais il a reculé toujours devant leurs conséquences extrêmes, prouvant qu’en lui la passion politique trouvait son frein dans la conscience du devoir humain et dans le culte de la civilisation.

André Tardieu.