Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formules qu’il prononce. Si mince que nous semble le résultat, à nous autres Européens, il n’en est pas moins considérable et très significatif pour les Orientaux : c’est le premier indice de toute une révolution dans les méthodes d’enseignement.

Après ces vers turcs, un autre élève nous récita quelques vers français. Était-ce une fable de La Fontaine, je ne me souviens plus au juste. Toujours est-il que la prononciation était moins assurée que pour la fable du Berger et du Rossignol. Enfin, j’échange, non sans quelque difficulté, deux ou trois phrases en notre langue avec d’autres enfans que le directeur me signale.

— Et voilà ! me dit-il modestement. C’est bien peu, je le sais ! Mais je fais de mon mieux. Vous n’imaginez pas combien ma tâche est difficile !

Il n’ose pas tout m’avouer. A travers ses réticences, je crois deviner qu’il n’est pas le maître d’agir à sa guise, qu’il n’est peut-être pas secondé comme il le voudrait et qu’enfin les ressources matérielles lui font défaut. Je ne retiens qu’une chose de nos entretiens et de ses doléances : c’est son désir énergiquement affirmé de donner à ses écoliers une instruction réellement moderne. La persévérance avec laquelle il travaillait lui-même à sa propre culture m’était garante de sa sincérité.

Mais je vis une école plus curieuse, plus intéressante en son genre, que le collège idadi. Après m’avoir montré sa maison, mon obligeant directeur me proposa de visiter un établissement libre dirigé et fondé par un de ses voisins, un moullah gagné à la cause de la culture européenne. Qu’un moullah, c’est-à-dire un religieux musulman, ouvre à ses frais, une école moderne, voilà qui est, en effet, très surprenant et très caractéristique. Vingt collèges turcs organisés par la routine officielle m’auraient certainement moins appris que cette école primaire due à la seule libéralité d’un brave homme.

Elle est installée dans une vieille maison arabe, une maison à patio ombragé de plantes grimpantes. J’ai beau y être accoutumé, ces cours intérieures, si intimes et si fraîches me ravissent toujours. Pour des bambins, nulle cage plus familière et plus souriante ! Une école orientale ainsi conçue me paraît autrement rationnelle que la bâtisse administrative d’où je sors, et qui n’est qu’un décalque maladroit de nos collèges européens.

Nous entrons. Le moullah, entouré de ses adjoints, vient à