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pliées par des doctrines millénaires, me faisait l’effet d’une ridicule absurdité.

Et puis, sitôt le seuil passé, ce fut brusquement, pour moi, l’entrée dans un autre monde. La Voie douloureuse, la mosquée d’Omar, le Rocher des sacrifices et le Saint des Saints, — tout cela était à mille lieues de ma pensée et de mes yeux. Une bâtisse scolaire, presque française d’apparence, se dressait devant moi.

On en devine sans peine l’aménagement comme le mobilier : c’est celui de nos écoles primaires. Le local et le matériel me parurent relativement neufs, mais déjà fort délabrés. Les Turcs n’ont pas le génie de l’entretien, et l’indigence de leurs budgets leur interdit même les réparations urgentes. Néanmoins, partout où je pénétrai, je constatai un certain air de toilette qui donnait à cette misère un aspect décent. On avait dû se livrer à des rangemens, à un nettoyage général. Enfin, on avait fait tout ce qu’on avait pu !

Dans la salle principale, le directeur a réuni tous les élèves du collège. Je n’assisterai donc pas aux classes telles qu’elles ont lieu d’habitude, mais à une sorte de séance d’apparat. Les enfans ont un air endimanché qui ne m’échappe point. Si je les observe, ils me dévisagent avec une curiosité mêlée d’ironie. On se pousse du coude, on rit sous cape. A Jérusalem, les étrangers sont, d’ordinaire, de si drôles de corps, et la population, qui s’égaie à leurs dépens, est si facilement moqueuse !...

Mais le directeur vient de désigner un élève : celui-ci s’avance au milieu du cercle formé par ses camarades et commence à nous réciter des vers turcs. On m’explique que le sujet de la pièce, c’est un berger qui joue de la flûte et qui rivalise avec un rossignol. Effectivement, le récitateur module des roulades, des gazouillemens, lance des onomatopées, ébauche toute une mimique, qui m’aurait singulièrement déconcerté sans ces explications préalables. Puis, le morceau proprement dit reprend, détaillé avec beaucoup d’expression et d’intelligence. Sans doute, l’élève est entraîné de longue date à cet exercice. Je n’en suis pas moins frappé de la différence qu’il y a entre cette récitation et celle des écoles arabes, où les enfans accroupis sur des nattes se bornent à ânonner des surates du Coran, en se balançant sur leurs talons. Ici, vraiment, on s’efforce de rompre avec l’automatisme de la vieille pédagogie, on tâche de faire comprendre à l’élève ce qu’il débite et de mettre un peu d’âme et de réflexion dans les