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Je n’ai pas besoin de rappeler que ce démocratisme n’est que la monarchie absolue retournée, le droit divin retourné. Le droit divin est une théorie selon laquelle le Roi, tenant sa puissance de Dieu, n’a pas besoin d’avoir raison pour que ses actes soient justifiés et n’a besoin de donner aucune raison pour justifier ses actes. Cette théorie, M. Rodet a raison de le faire remarquer, n’est pas la doctrine ancienne de l’Église. Thomas d’Aquin avait dit que le pouvoir en soi vient de Dieu, mais que le pouvoir concret, matériel, tel qu’il existe en tel pays et en tel autre, vient du peuple. Bellarmin avait dit que le pouvoir est de droit divin, mais que le droit divin n’avait donné le pouvoir à aucun homme en particulier et donc l’avait donné à tous. Suarez avait dit que le pouvoir vient médiatement de Dieu, mais immédiatement du peuple. Mais avec Bossuet nous voyons s’établir cette doctrine, « tirée de l’Écriture sainte » selon laquelle, quelques tempéramens que l’auteur y apporte, le Roi ne doit compte qu’à Dieu de ses actes et détient non pas un pouvoir, mais le pouvoir, en son essence même et en son exercice illimité, sans que, contre ce pouvoir, il y ait recours ou appel, si ce n’est à Dieu.

Or c’est cette doctrine même, si joliment appelée par Ed. Laboulaye la servitude sanctifiée, que les protestans avaient purement et simplement adoptée, en la transportant au peuple, en l’appliquant au peuple ; et c’est Jurieu qui avait dit du premier coup avec la dernière rigueur : « Le peuple est le seul puissant qui n’ait pas besoin d’avoir raison pour valider ses actes ; » et enfin, c’est ce droit divin du peuple que Jean-Jacques établissait et proclamait en disant : « Le peuple est le seul souverain ; le peuple ne peut pas se tromper ; la volonté générale est toujours droite. » Jean-Jacques Rousseau, après ses maîtres, a simplement dépouillé les rois et revêtu le peuple du droit divin.

Or comment se fait-il, s’il en est ainsi, que l’on ait pu se demander si Rousseau était démocrate et que l’on ait même pu prétendre que sa doctrine est aristocratique ? (Jean-Jacques Rousseau aristocrate (1890). Articles de M. Izoulet dans la Revue hebdomadaire de janvier 1909). — Cela tient, d’abord, à ce que Rousseau s’est souvent contredit, à l’exemple et à l’encouragement de tous les penseurs ; cela tient ensuite à ce qu’il faut s’entendre sur le sens du mot démocratie. Rousseau a dit formellement, écrivant à d’Ivernois : « Vous avez pu voir dans nos conversations que je ne suis pas visionnaire et dans le Contrat social que