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telle sorte qu’elle accueillait volontiers tous les hommages, mais surtout ceux de ses frères en Apollon ; et nombreuses étaient déjà les aventures que se racontaient à son propos, plus ou moins ouvertement, les bourgeois scandalisés de la petite ville universitaire, lorsque, vers le mois d’avril 1798, un nouvel étudiant-poète lui fut présenté qui devait, un jour, lui faire oublier toute la série précédente de ses « consolateurs. »

Il s’appelait Clément Brentano, et n’avait encore qu’à peine vingt ans, huit ans de moins que Sophie Méreau. Mais sans doute il était, dès lors, pareil à l’image inoubliable que nous en a laissée le sculpteur Tieck, avec un jeune visage d’une élégance et d’une vivacité poétique extraordinaires, sous les boucles sensuelles de ses cheveux noirs. Fils d’un père vénitien et d’une mère à demi française, tous ceux qui l’ont rencontré durant sa jeunesse s’accordent à nous dire qu’il portait en soi un véritable génie de poésie amoureuse. Aussi bien nous apparaît-il aujourd’hui, — dans le pâle reflet que nous conserve de lui son œuvre de laborieux « dilettante » improdsateur, — comme le plus foncièrement « poète » de tous les romantiques allemands après Novalis ; mais tandis que, chez le grand Novalis, la poésie constituait l’âme et la vie tout entières, — à un degré qui fait de ce jeune homme, pour nous, un prodige comparable seulement au jeune Mozart, — nous devinons que le génie lyrique de Brentano, imprégné de chaude et voluptueuse lumière italienne, s’est dépensé presque absolument au service de l’ardente frénésie d’amour dont son cœur et son esprit étaient dévorés. Sa sœur favorite, la fameuse Bettine, son ami et confident Achim d’Arnim, et cette Sophie Méreau, qui a eu l’occasion de le connaître plus intimement que personne, nous le représentent invariablement sous l’aspect d’un jeune dieu d’amour : dieu ou démon, mais avec quelque chose d’excessif et de singulier, dans l’essence comme dans l’expression de sa perpétuelle ivresse sentimentale, qui n’était peut-être que l’effet d’un emploi trop exclusif de son génie de poète aux rêves et aux désirs amoureux de sa vie privée. Que l’on joigne à cet élément « démoniaque » une exquise beauté de traits et de figure, avec la distinction native comme d’un jeune prince parmi des boutiquiers ; qu’on y joigne toutes les ressources d’une verve spirituelle également beaucoup plus italienne qu’allemande, — et dont la trace se retrouve, à chaque page, dans les contes et fantaisies en prose de l’auteur des Plusieurs Wehmuller : on devinera l’attrait que dut offrir, à la belle jeune femme « incomprise » du professeur Méreau, la conquête d’un personnage aussi différent de la