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L’auteur ne peut se défendre en terminant de quelque pitié pour ce triste personnage. C’est un sentiment qu’il est difficile de partager si l’on songe aux atrocités commises par le tyran de Marseille et le proscripteur de Toulon. Ce sans-culotte n’eut même pas l’excuse d’être un jacobin convaincu. Le fils de Fréron déshonora le nom qu’il portait, il se fit révolutionnaire pour vendre sa copie et parce qu’il avait de grands besoins d’argent. Ce fut un faible et un extravagant, au jugement de son historien, mais ce fut surtout un lâche dont la politique consista à fuir la guillotine. Un fait cependant, raconté par le trop indulgent biographe, peut être mis à l’actif de Fréron. Après la mort de Camille et de Lucile, il avait promis de protéger toujours le petit Horace Desmoulins. En l’an VIII, lorsqu’il était lui-même en butte à toutes les persécutions, il n’hésita pas à exécuter ses engagemens. Il alla solliciter Bonaparte, « l’homme qui avait brisé sa vie et broyé son cœur, » et obtint qu’Horace entrât au Prytanée, suivant le désir de Mme Duplessis. En remplissant ce devoir, Fréron réparait, dans la mesure où il le pouvait, sa trahison du 10 germinal. Ce trait montre que toutes les sources d’émotion n’étaient point taries chez l’ancien soupirant de Lucile. Ce qui le fait ressortir davantage, c’est la dureté qu’exercèrent contre lui le Premier Consul qui, malgré les instances de Lucien, ne permit pas à la maîtresse de Fréron de partir pour Saint-Domingue, et l’ingrate Paulette qui se livrait dans l’île « aux pires débordemens, » alors que le don Juan auquel elle avait promis un amour éternel mourait dans la solitude et l’oubli.


RAYMOND DE VOGÜÉ.