Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/532

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les prodigalités ruineuses, les mascarades nocturnes, les escapades au bal de l’Opéra, n’avaient pas encore commencé, donné prise aux légendes dont, par la suite, aucun effort ne pourra dissuader la crédulité populaire. Dans la réalité, on n’avait sous les yeux qu’une princesse de vingt ans, capricieuse, avide de plaisir, exagérant les modes, roulant dans sa cervelle légère des plans de fêtes, de distractions mondaines. Elle ne voit point de mal à ces passe-temps inoffensifs. C’est de bonne foi, et en badinant sans malice, qu’elle écrira à son ami d’enfance, le comte Xavier de Rosenberg[1] : « Mes goûts ne sont pas les mêmes que ceux du Roi, qui n’a que ceux de la chasse et des ouvrages mécaniques. Vous conviendrez que j’aurais assez mauvaise grâce auprès d’une forge ; je n’y serais pas Vulcain, et le rôle de Vénus pourrait lui déplaire beaucoup plus que mes goûts, qu’il ne désapprouve pas. » Louis XVI n’avait guère, en effet, que d’indulgens sourires pour cette frivolité gracieuse. A peine, de loin en loin, risquait-il timidement un conseil de sagesse, sous le couvert d’une galanterie, comme ce jour où, choqué de l’immensité des panaches qui surmontaient la coiffure de sa femme, il lui offrait, « pour remplacer les plumes, » une aigrette de diamans. Il avait grand soin d’ajouter qu’elle pouvait accepter ce bijou sans scrupule, puisqu’il n’avait entraîné nulle dépense, n’étant composé que des pierres « qu’il possédait autrefois comme Dauphin[2]. »

Par malheur, le public français ne jugeait pas les choses avec cette sereine bienveillance. Habitué depuis plus d’un siècle à l’austérité morne de l’existence des reines de France, au formalisme étroit qui régnait dans leur cour, il s’étonnait d’abord, et se scandalisait ensuite, de ces façons inusitées, de cette gaîté pimpante, de ces allures simples et familières qui semblaient faire de la souveraine l’égale, presque la camarade de ceux qu’elle mêlait à ses jeux. Il en vint peu à peu « à regarder la Reine du même œil qu’il voyait les maîtresses du feu Roi[3]. » Les propos imprudens de Marie-Antoinette avivèrent cette hostilité. On colporta des railleries déplacées sur l’économie de Turgot, qui, disait-elle, pensait sauver l’Etat en rognant çà et là quelques valets d’office et quelques marmitons. Le peuple en vint à se

  1. Lettre du 11 avril 1775. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Correspondance secrète de Métra, 9 janvier 1775.
  3. Réflexions historiques, par le Comte de Provence, loc. cit.