Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

persuader peu à peu que Marie-Antoinette, non seulement combattait les réformes indispensables, mais qu’elle était, en grande partie, la cause du gaspillage des deniers de l’État, responsable par conséquent du fardeau croissant des impôts, bref qu’elle « tirait ses plaisirs de la substance du peuple. » Ainsi naquit l’impopularité qui s’aggravera bientôt jusqu’à la plus injuste haine. Le Comte de Provence, dans le sagace écrit que j’ai déjà cité, précise les étapes successives de la*désaffection publique : « l’enthousiasme[1]que Marie-Antoinette avait excité à son arrivée en France dura dans toute sa force jusqu’en 1775. Ensuite il commença à diminuer, et bientôt il s’éteignit tout à fait. Ce fut alors que les libelles, les chansons commencèrent à paraître contre elle, et qu’on osa la comparer à Messaline pour la débauche et pour la cruauté. »


II

Exactement instruite de ce revirement populaire et mise au fait de ces diffamations, la Reine en attribuait l’odieux à son ancien et implacable ennemi, le duc d’Aiguillon. Sans doute ne se trompait-elle qu’à demi dans cette supposition. Le duc, depuis sa chute, retiré à Paris, embusqué aux aguets dans son fastueux hôtel, environné d’une petite cour de gens qui, enveloppés dans sa disgrâce, partageaient ses rancunes, passait, non sans raison, pour le chef du parti opposé à la Reine et pour l’instigateur caché de la campagne organisée contre elle. Qu’il y ait eu, comme on l’a cru, une conspiration positive, il n’en existe aucun indice certain. Mercy-Argenteau est sans doute assez près de la vérité quand il écrit ces lignes : « Pour bien des motifs, le duc d’Aiguillon est soupçonné d’avoir eu part aux écrits anonymes répandus contre le gouvernement, et particulièrement en vue de nuire à la Reine. Il se pourrait qu’à cet égard plusieurs différens partis eussent visé au même but, sans s’être concertés. » Et revenant, à quelque temps de là, sur le compte du même personnage, il le dénonce comme « l’acteur principal dans les intrigues secrètes tramées contre la Reine. » La plupart des mémoires du temps confirment cette accusation.

L’attitude agressive du duc tirait une spéciale gravité de sa

  1. Réflexions historiques, par le Comte de Provence, loc. cit.