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bien responsable de mon audace, et je suis allée regarder l’intérieur du tombeau. Il y a beaucoup de cierges, des rideaux de soie pourpre, un grand catafalque chatoyant, des choses indistinctes qui luisent dans l’ombre, comme des trésors… On peut voir des choses plus belles, mais cela, c’était beau, à cause de la difficulté, du danger… Loti l’a vu, le tombeau d’Eyoub, mais il s’était déguisé ! Il n’a pas eu de mérite, Loti ! Tandis qu’une Parisienne, qui est allée dans ce sanctuaire, avec une robe fourreau, un chapeau cloche et pas le moindre voile, elle peut remercier Allah de sa chance !

M. Bareille porte le fez, mais M. Paul Belon, en chapeau de paille, était aussi scandaleux que moi. Nous couronnâmes notre expédition en franchissant le seuil de la mosquée. Le petit hodja tenait le rideau de cuir, et les Saloniciens impassibles veillaient derrière nous. Elle n’a rien de spécialement admirable, cette mosquée, — mais c’est la mosquée d’Eyoub ! Cependant M. Bareille, qui observait les visages des fidèles et qui comprenait leurs réflexions, nous a dit vivement : « Ça suffit. Il est temps de partir. L’heure de la prière est venue. Le muezzin chante, et les fanatiques vont se fâcher… »

Ah ! comme j’étais ravie ! Backchich au hodja, backchich aux gendarmes !… Voilà les dévots qui arrivent, très graves, enturbannés, barbus, habillés de ces robes de chambre en soie rayée et piquée qui font de si jolies taches de couleurs vives. Et il y a des dames toutes noires, et des pauvresses toutes déchirées, et des nègres, et des Arabes aux burnous flottans… Nous cherchons maintenant la bonne auberge promise par M. Bareille.

L’auberge est trouvée, la table mise dans le jardin qui est un vrai jardin de guinguette, avec un figuier, une glycine, quelques rosiers en fleur et des cages à poules, — très « environs de Paris, » — mais dans un coin, un Turc vénérable rempaille des chaises, et au milieu de l’allée, il y a un jet d’eau minuscule, un jet d’eau attendrissant par sa petitesse, dans une vasque de marbre !

Le déjeuner ?… Ah ! certes, le représentant de la maison d’automobiles, notre distingué compatriote, ne serait pas content du déjeuner. Je l’entends dire : « Quel sale pays !… » Heureusement que nous l’avons laissé à ses devoirs. Le déjeuner est ridicule, atroce et charmant. Sur une table de bois, le jeune Turc qui nous sert a étendu des serviettes éponges, jaunes et