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nous recommande de mettre de jolies robes, parce que l’extrême simplicité de la toilette, — qui serait une preuve de bon goût à Paris, — offusquerait nos hôtesses, comme une marque de dédain.

Robe grise, robe bleue, robe jaune, nous sommes bien brillantes, toutes trois, quand nous descendons de voiture, dans une paisible petite rue ensoleillée, devant le bâtiment d’école. Robert Mizrahi, dès que la porte s’entr’ouvre, prend congé de nous, et la servante qui retient le vantail, à l’intérieur, ne montre sa vieille figure embéguinée qu’après le départ de notre compagnon. Il y a d’autres servantes, dans le vestibule, qui nous saluent, en baisant le bas de nos vêtemens.

Une jeune femme rousse, de petite taille et de visage délicat, vêtue d’une robe lâche violet sombre qui dissimule mal une grossesse avancée, nous attend au seuil du salon. Autour d’elle, un peu en arrière, cinq ou six femmes nous regardent de tous leurs yeux noirs, rieurs et doux. C’est la directrice et les adjointes. Ensemble, elles s’inclinent, avec un geste gracieux de la main qui effleure presque le sol, touche la poitrine, la bouche, remonte au front.

Quand les « témenas »[1] sont finis, nous entrons toutes dans la grande pièce qu’on a décorée en notre honneur avec les ouvrages de broderie des élèves, et Mme P… veut faire les présentations… Mais la directrice, selon le protocole de la politesse turque, s’est assise le plus loin possible de nous, les mains croisées sur la ceinture… Il faut insister pour qu’elle se rapproche, et de fauteuil en chaise et de chaise en fauteuil, s’asseye en face de nous. Toutes ces cérémonies préliminaires prennent un bon quart d’heure.

Les autres institutrices se placent comme elles veulent ou restent debout. Deux sont très jeunes, assez jolies ; une, plus âgée, vingt-huit ans peut-être, représente assez bien l’odalisque telle que nous l’imaginons, car elle a des yeux de velours soulignés par le khôl, un petit nez aquilin charmant, la pâleur mate du camélia… Une autre, très maigre, bilieuse, énergique, a des prunelles enfoncées où l’intelligence pétille, — c’est le mot exact, — en étincelles de feu noir ; la doyenne de toutes, celle qui enseigne le Coran est une très vieille dame, décharnée et vénérable,

  1. Saluts.