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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/607

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que de vains propos, que de ridicules caquets ! Il importait donc de faire un tri et un choix. J’ai lu avec attention toutes les pages des Mémoires et j’ai cru qu’il y aurait un réel intérêt à réunir en une même étude les diverses observations qu’avaient suggérées, au cours de son ambassade, au prince de Hohenlohe, deux hommes considérables, Thiers et Gambetta ; puis, pendant son gouvernement d’Alsace-Lorraine, le plus considérable de tous, le prince de Bismarck.

Hohenlohe, qui ne cachait pas ses sympathies pour Thiers descendu du pouvoir, s’était mis immédiatement en relation avec lui. Leurs entrevues étaient fréquentes et portaient quelque ombrage à l’Elysée et aux Affaires étrangères. Un jour que l’ambassadeur manifestait à Decazes l’intention d’aller faire visite à Thiers, le ministre lui dit avec un malicieux sourire : « On assure que vous n’en sortez pas ! » L’ancien président avait gardé de ses entretiens avec Bismarck, lors des négociations de 1870 et de 1871, un souvenir qui ne pouvait s’effacer. Il reconnaissait, affirme Hohenlohe, que, si cruelles qu’eussent été les conditions de paix, le chancelier avait essayé de les atténuer dans la mesure du possible, mais il ajoutait : « Je ne dis pas cela à mes compatriotes qui trouvent qu’on a été trop dur. » Hohenlohe accentue étrangement cette déclaration courtoise, lorsqu’il cherche à établir par-là que Thiers se sentait « l’obligé de Bismarck. » Il n’y a qu’à relire les Notes et Souvenirs pour revoir en quelque sorte la lutte émouvante et tragique que Thiers soutint contre les terribles exigences du chancelier « dominé par son tempérament de sauvage. » Et l’on ne peut oublier ces fières paroles du chef du Pouvoir exécutif, le 24 février 1871 : « Vous voulez ruiner la France dans ses finances, vous voulez la ruiner dans ses frontières ! Eh bien ! qu’on la prenne, qu’on l’administre, qu’on y perçoive les impôts ! Nous nous retirerons, et vous aurez à la gouverner en présence de l’Europe, si elle le permet ! » Et à ce dilemme brutal du vainqueur : « Que préférez-vous, Belfort, ou la renonciation à notre entrée dans Paris ? » qui ne se rappelle ce cri de confiance dans un avenir réparateur : « Belfort ! Belfort !… » Thiers, l’obligé de Bismarck ! Lui, qui eut à discuter une à une les moindres clauses des préliminaires de paix et ne put arracher la concession suprême qu’avec son désespoir !

Des notes recueillies par Hohenlohe il appert que l’ancien