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C’est par la faute du chancelier que la France et la Russie allaient bientôt contracter une alliance que les incidens les plus divers et les plus graves n’ont fait que renforcer.

L’attention de Bismarck et de Hohenlohe devait se reporter maintenant avec plus d’insistance sur Gambetta que les Allemands considéraient désormais comme le personnage politique le plus influent en France. « Nous n’avons rien à craindre de sa part, avait dit, en 1875, Bismarck à l’ambassadeur, même s’il organisait la France aussi solidement que vous le croyez. Nous sommes toujours à la hauteur de la France, même d’une France forte. Le danger serait la coalition. Or, la République n’arrivera jamais à former une coalition contre nous. » Cependant, Hohenlohe était défiant. Il avait signalé au chancelier, en juin 1876, l’amitié inquiétante de Gambetta et de Chaudordy. « Gambetta, écrivait-il, voudrait qu’on donnât à Chaudordy la place de Le Flô à Saint-Pétersbourg. Cette liaison, qui date de leur collaboration à Tours, est curieuse. Gambetta songerait-il à préparer la revanche contre l’Allemagne avec l’aide de la Russie et des ultramontains auxquels Chaudordy appartient ? »

L’empereur Guillaume Ier n’avait point pour Gambetta la sympathie que semblait lui témoigner Bismarck. « Il vantait l’énergie et l’esprit logique du Maréchal, louait son activité anti-radicale et insistait particulièrement sur son horreur de Gambetta qui, une fois président, ne pourrait manquer de déclarer la guerre à l’Allemagne. Je me permis, dit Hohenlohe, de contester le bien fondé de ses craintes et déclarai en outre que je ne croyais pas que la République de Gambetta se lançât dans une guerre contre l’Allemagne ; car, pour mener une guerre, il fallait un pays fort à l’intérieur ; il fallait de l’union et des alliances. Gambetta, obligé d’engager la lutte contre les cléricaux, provoquerait un conflit autrement considérable que notre Kulturkampf. Il serait donc trop occupé à l’intérieur pour songer à nous faire la guerre. L’Empereur prêta grande attention à mes explications, mais ne parut pas convaincu. Il se plaignait des excès de la presse allemande, même de la presse officieuse, à l’égard du gouvernement français, émettant la crainte que ces piqûres perpétuelles ne finissent pas excéder la France et par devenir un prétexte de guerre, auquel cas tous les torts seraient