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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/640

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que l’homme est créé ! Alors, il vaudrait mieux n’être jamais né. Sophocle l’a déjà dit. Depuis, des siècles se sont écoulés. Chacun le sait ; pourtant chaque jour il semble l’ignorer et, se laissant vivre, il reçoit des honneurs et des décorations, puis il s’en va et on l’oublie !… » Le prince avait appris que toutes les satisfactions offertes par le monde à nos désirs ressemblent à l’aumône que le mendiant reçoit aujourd’hui pour mourir demain d’inanition. Il méditait souvent sur la mort et aimait à redire cette inscription découverte par lui sur la tombe d’un de ses ancêtres : « Apprends à mourir ! » On l’avait vu plus d’une fois aussi, pendant son gouvernement d’Alsace-Lorraine, descendre dans l’une des chapelles souterraines voisines du chœur de la cathédrale à Strasbourg et s’arrêter devant l’épitaphe d’un prêtre resté inconnu :

Rogas quis sim ?… Pulvis et umbra.

« Voilà bien ce que nous sommes, disait-il ; ombre et poussière ! »

La fin prématurée de sa fille Stéphanie, survenue le 21 mars 1882 « par une journée de printemps douce et ensoleillée, » lui avait inspiré les accens les plus touchans. À cette jeune fille dont la vie avait été brisée en quelques heures, il dédia ce poème :

« Parmi les fleurs on t’a portée au repos éternel. Un parfum de fleurs nouvelles passe au-dessus de ta tombe.

« Tu étais toi-même comme le parfum du printemps, comme la clarté du soleil par des jours fleuris.

« Et quand tu venais, la joie emplissait tous les cœurs, comme le souffle du printemps appelle la jeune frondaison à une vie nouvelle, tandis que les rossignols chantent doucement dans les branches.

« Aujourd’hui, s’est évanoui à jamais ce qui m’avait enchanté ; la lueur rayonnante de tes yeux s’est éteinte ; le gai sourire de tes lèvres a disparu.

« Lorsqu’ils ornèrent de fleurs ton cercueil, je restai brisé de douleur. Prends ici maintenant, enfant adorée, la couronne que j’ai tressée pour toi, tout en larmes. »

Les derniers jours de cet homme d’apparence indifférente et glaciale furent consacrés à l’étude des vérités éternelles. Effrayé par l’idée de l’éternité, méditant la question redoutable : « D’où