sans trop de hâte sur Vérone, laissant le loisir d’admirer… Les vrais voyageurs ne sont jamais pressés.
« Voyager, a écrit Mme de Staël, est un des plus tristes plaisirs de la vie ; traverser des pays inconnus, entendre parler un langage que vous comprenez à peine, voir des visages humains sans relation avec votre passé ni avec votre avenir, c’est de la solitude sans repos et de l’isolement sans dignité. Car cet empressement pour arriver là où personne ne vous attend, cette agitation dont la curiosité est la seule cause, vous inspirent peu d’estime pour vous-même… » Mme de Staël n’aimait pas à voyager parce qu’elle ne savait pas regarder. Cette femme intelligente, infiniment sensible à l’esprit et à l’éloquence, était aussi peu artiste que possible. Son opinion nous semble aujourd’hui presque incompréhensible, tant nos goûts et nos habitudes ont changé. Mais, vraiment, nous exagérons. Nous ne savons plus goûter le moment présent. Nous ne jouissons pas des heures de la vie. Notre génération, qui ne se pâme plus au Lac de Lamartine, n’éprouve pas le besoin de demander au Temps de « suspendre son vol. »
Et cependant, comment ne pas savourer la simple joie de vivre, de respirer, d’ouvrir les yeux sur cette terre latine où je reviens si souvent, comme vers une maîtresse aimée, avec des larmes aux paupières ? « A vingt ans, dit Barrès, l’on se persuade que les villes fameuses sont des jeunes femmes. On se hâte, le cœur en désordre, vers un rendez-vous d’amour. » Pour l’Italie, il me semble que j’ai toujours vingt ans. Parfois, dans l’agitation de Paris, il me suffit d’un tableau entrevu, d’une rue ensoleillée, d’un air entendu, d’un jardin en fleurs, d’un fait-divers dans un journal, pour me rappeler un coin précis de Rome ou de Florence, pour me donner l’envie irrésistible de revoir telle ou telle de ces petites villes où j’ai vécu quelques jours et qui, depuis, me semblent presque miennes : un peu de notre cœur resterait-il ainsi partout où nous avons passé, comme ces plantes vivaces qui se fixent au sol dès qu’elles s’y sont posées ? Quand je franchis les Alpes, quand je suis l’une de ces routes par où le Nord aborde l’Italie, l’une de ces belles civilisatrices, comme les appelle l’auteur du Voyage de Sparte qui déclare qu’« à chaque fois que nous les descendons, elles nous rajeunissent l’âme, » le seul fait de mettre le pied sur le sol italique me donne une joie enfantine et presque ridicule. J’ai l’impression que mes yeux