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(il étudia sur place la plupart des monumens antiques de Rome, Ancône, Pola, Spalato, Ravenne, Suse, et même de Nîmes), réserva presque exclusivement son génie pour une ville si apte à le comprendre. En dehors de Vicence, de Venise, — qui lui doit le Rédempteur, San Giorgio Maggiore et la façade de San Francesco della Vigna, — et de la Vénétie où il construisit quelques villas, on peut dire qu’il n’existe aucune œuvre importante de Palladio. Vicence suffit à son activité : jamais cité ne fut mieux préparée à comprendre un homme, ni artiste mieux destiné à être compris par elle. Sa mort fut un deuil unanime. La poétesse Isicratea Monti composa un sonnet où elle déclarait que Palladio avait été appelé dans la patrie éternelle « pour la faire plus belle. » Rien de plus puéril que le racontar dont le président de Brosses s’empressa de se faire l’écho. « Palladio, dit-il, ayant reçu quelque mécontentement de la noblesse de sa ville, s’en vengea en mettant à la mode le goût des façades dont il leur donnait des dessins magnifiques qui les ruinèrent tous dans l’exécution. »

Le goût pour l’architecture persista à Vicence après Palladio, dont l’enseignement fut la meilleure garantie contre les excès du baroque. Grâce à lui, se conserva ce sens des proportions qui est si caractéristique dans la plupart des monumens de la Haute-Italie. C’est à peine si, dans cette région, se fait sentir la fâcheuse influence du Bernin, des Borromini et des Vanvitelli. Après les élèves du Maître, dont le plus illustre est Scamozzi, il y a une période moins brillante ; mais, dès 1700, Palladio redevient l’oracle absolu. Ottone Calderari reprend ses traditions et donne un nouveau lustre à l’architecture vicentine.

Aussi, les rues de la ville sont-elles un véritable musée ouvert à tous. Il suffit de se promener pour contempler des chefs-d’œuvre. Dans cette cité qui n’a guère plus d’une quarantaine de mille habitans, comme un de nos moyens chefs-lieux de département, ou peut compter une centaine de palais ou d’édifices intéressans. On comprend l’enthousiasme qu’elle excita parmi les écrivains et les critiques d’art. Si quelques-uns ont exagéré en allant, jusqu’à dire qu’elle était à la fois l’Athènes et la Corinthe de l’Italie, Ranalli a raison de s’écrier, dans son Histoire des Beaux-Arts : « O veramente aventurosa Vicenza ! Altre potranno vincerti di grandezza e potenza, niuna di leggiadria e di bellezza ! »