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commerçans, tous ces paysans ont une physionomie excessivement mobile et variée ; avec leur bouche grimaçante, leurs yeux qui rient, leurs bras sans cesse en mouvement, ils mettent dans l’expression de leurs sentimens une exagération qui, quoique sincère, paraît plus près du théâtre que de la vie.

Mais j’ai hâte de revoir la vieille Bergame : au lieu de suivre la route qui serpente au flanc du coteau et longe les remparts comme si elle voulait brusquement entrer à l’improviste, je prends un trop moderne, mais agréable funiculaire qui me monte au milieu de la cité. Là, les rues sont calmes et vides. Rien n’y distrait de la contemplation du passé. Il n’est point pour le rêveur de villes plus chères que celles qui, presque mortes, ressemblent à de beaux sépulcres. Il n’y a pas à faire, comme à Rome ou à Florence, un constant effort pour se dégager du présent. Le silence des voies désertes, la paisible sérénité des monumens, le grand air d’abandon morne des palais et des maisons, tout ramène l’esprit vers une même époque et aucune préoccupation étrangère ne vient troubler la méditation. Plus évocatrice encore est la grand’place, si petite mais si poignante, où, pendant des siècles, battit le cœur de la commune. Tous les édifices civils ou religieux nécessaires à la vie publique sont réunis dans un ensemble majestueux. Aujourd’hui la solitude y règne. Par endroits, l’herbe pousse entre les pavés disjoints, et je songe aux vers de d’Annunzio :


Davanti la gran porta australe i sassi
deserti verzicavano d’erbetta
quasi apascere i due vecchi leoni


Mais entrons dans la chapelle Colleoni. C’est le chef-d’œuvre d’Amadeo de Pavie et l’une des plus belles productions de la sculpture lombarde. Celle-ci, en effet, n’a guère eu que d’habiles artisans, sans grande personnalité, qui s’occupèrent surtout à des besognes collectives, comme la décoration touffue du dôme de Milan et de la Chartreuse de Pavie. Amadeo prit lui-même une importante part à ces travaux dont il eut la direction pendant quelques années ; mais il a laissé des œuvres plus marquantes, telles que les bas-reliefs des deux chaires de la cathédrale de Crémone et les monumens funèbres de Sainte-Marie-des-Grâces à Milan, dont on lui a dernièrement restitué la paternité avec assez de vraisemblance. La chapelle Colleoni