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soi et pour comprendre les maux affreux qu’elle entraîne même pour le vainqueur ; mais, ce qui compte encore plus chez des esprits aussi réalistes, ils ne se sentent ni l’un ni l’autre en état de la faire avec avantage, ils ne sont pas prêts à l’entreprendre, ils ne peuvent sans péril abandonner pour elle les œuvres extrêmement urgentes qu’ils sont en train d’accomplir.

Le Japon a besoin de recueillement et d’une période de paix pour se relever complètement des sacrifices en hommes et en argent que lui a imposés la guerre russe ; pour faire fructifier la confiance qu’il a retirée de ses succès et bénéficier de l’élan acquis ; pour laisser aboutir les efforts encore bien nouveaux de son peuple vers l’instruction moderne, vers le perfectionnement de l’agriculture, vers le développement surtout du commerce et de l’industrie. Même en ne doutant pas de la victoire, qui cependant doit lui apparaître plus difficile à remporter que sur la Russie, quel avantage obtiendrait-il qui pût valoir ce qu’elle lui aurait coûté, balancer la perte de ses transactions présentes avec les États-Unis, compenser le retard apporté aux progrès de tout genre qu’il sent le besoin de réaliser soit au dedans, soit à l’extérieur ?

Voudrait-il prendre pied sur le continent américain ? Rêve d’autant plus absurde que ce serait déjà très difficile d’y débarquer et presque impossible d’y maintenir un sérieux corps de troupes. S’emparer des îles Hawaï ? Ce ne serait point trop malaisé, en effet, mais combien il est préférable d’en continuer la conquête pacifique, en les peuplant de nationaux fidèles ! Annexer les îles Philippines ? Pour plus tard, certes, on y compte bien ; mais, actuellement, que de peine pour les mettre en valeur et comme il paraît plus sage de laisser ce gros travail aux Américains ! Pourrait-on, en outre, s’y maintenir après la conquête, devant l’hostilité certaine des populations et lorsqu’on a tant de mal déjà à dompter la Corée, cette terre convoitée depuis des siècles, enfin réoccupée, et où il importe à tout prix, cette fois, de s’installer pour n’en plus sortir ? C’est là, non pas ailleurs, qu’est pour le Japon l’œuvre capitale, celle qui lui assurera, en même temps qu’un riche domaine de culture, un point d’attache et de défense, de pénétration et de conquête sur le grand continent. Or pour y réussir, étant donné l’hostilité profonde des habitans, ce n’est pas trop de tout son effort colonial, financier, militaire, politique, surtout si l’on pense à ce que déjà lui impose de souci