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souhaitent de réduire au minimum l’immigration jaune, éprouvent le besoin, au contraire, d’une forte immigration de Blancs ; en même temps que, pour une année, ils jugent excessif le chiffre de quinze ou vingt mille Japonais, ils absorbent sans peine, et même avec profit, plus d’un million d’Européens. Mais alors, va-t-on suggérer, qu’on n’emploie pas les Jaunes, et ils ne viendront plus ; ou qu’on les paie comme les Blancs, et ceux-ci n’auront plus de raison de se plaindre ! Nous avons montré que, dans l’extrême Ouest, ni le capital ne peut se passer d’eux, ni eux-mêmes ne peuvent se hausser aux exigences, d’ailleurs outrées, des syndicats d’ouvriers blancs. Les salaires n’obéissent pas dans leurs mouvemens de hausse ou de baisse à des lois factices ; ce n’est pas arbitrairement qu’ils se règlent, c’est sur les conditions matérielles et morales d’une société donnée, principalement sur les besoins réellement sentis du monde ouvrier. Des travailleurs de formation et d’exigences totalement différentes ne se feront jamais payer de même.

Doit-on compter sur la guerre pour trancher le différend, et est-ce la force des armes, cette « raison suprême » ou jadis crue telle, qui fera à chacun sa place et mettra tout en ordre ? C’est, au fond, l’idée la plus répandue, et dès que la difficulté traverse une phase plus menaçante, on commence à supputer, jusqu’en Europe, les chances des rivaux probables, l’état de leurs finances et de leur armée, principalement la puissance de leurs flottes, le nombre de leurs cuirassés et de leurs torpilleurs, la qualité de leur commandement et de leurs équipages. A vrai dire, même, on est étonné du sang-froid et de la sagesse que témoignent, au moment des crises, le gouvernement de deux peuples aussi fiers ; on n’en revient pas de voir les précautions qu’ils prennent, les concessions qu’ils s’accordent ; on se demande pourquoi tant d’égards, où l’on n’attendait que protestations, et pourquoi des ententes où l’on prévoyait des ultimatums.

Il faut le comprendre et s’en réjouir : à moins d’accidens qui restent toujours possibles, mais ne sont pas ici plus probables qu’ailleurs, la guerre n’est pas prochaine entre le Japon et les États-Unis, parce qu’elle n’est jugée opportune ni à Tokio, ni à Washington. Quoi que prétende une opinion superficielle, ou, en tout cas, localisée, les deux gouvernemens ont les raisons les plus décisives de s’opposer au conflit armé. Non seulement ils sont assez sages et assez humains pour n’aimer pas la guerre en