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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/699

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Si donc il fallait attendre des armes la solution du problème, ce pourrait n’être qu’une question de temps et de patience. Mais il est clair que, quelle que soit l’issue de la rencontre, elle n’aura rien de définitif. Aucune des deux puissances ne saurait anéantir l’autre ni la mettre complètement sous le joug. Le vaincu ne songera qu’à la revanche, et l’on n’imagine pas que sa précédente antipathie pour les adversaires deviendra de l’amour aussitôt qu’ils l’auront battu. Or, l’un des deux fût-il comme anéanti, le problème, au fond, resterait entier : il n’y a pas seulement en cause le Japon et les Etats-Unis, mais, au sens le plus large des mots, tout l’Est contre tout l’Ouest de l’Océan Pacifique. Après comme avant la guerre, il restera en présence deux races, le monde blanc contre le monde jaune, c’est-à-dire, ainsi que nous l’avons vu, deux humanités qui ne se comprennent pas et qui ne peuvent pas se fondre.


Le rapprochement qu’il n’y a pas lieu d’attendre de la guerre, pourrait-on l’espérer, dans un avenir plus ou moins éloigné, d’une conversion des Japonais au christianisme ?

Il n’est certainement pas de plus profond obstacle à l’assimilation des Jaunes et des Blancs que la différence extrême de leurs âmes. Très opposée est leur nature physique, mais bien davantage leur nature morale, puisque plus ils vivent ensemble, plus ils se sentent divers, et qu’après les rapports faciles des débuts, rapports que, de bonne foi, on croyait intimes, on s’aperçoit très vite qu’une cloison de glace sépare les idées et les senti m eus. C’est que, — dans la mesure où l’on peut essayer de comprendre et de résumer des questions aussi mystérieuses, — il y a, d’un côté, des siècles de christianisme, avec l’idée profonde, sinon claire, de la personnalité appliquée au concept de Dieu même, qu’elle rend plus accessible, et au concept de notre nature, à qui elle attache une telle dignité qu’une âme en arrive à valoir des mondes, bien plus encore, la mort même d’un Dieu. Et il y a, d’autre part, des siècles de boudhisme, avec le rêve de se fondre dans le grand Tout vague ; des siècles de confucianisme, avec un esprit de routine qui empêche le progrès intérieur ; mais principalement des siècles de shintoïsme, avec la pensée de ne vraiment compter qu’en fonction de l’être collectif, avec la volonté, d’ailleurs grande et noble, de ne se regarder, vivant ou mort, que comme un élément de la race qui dure, une