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électorale qu’elle aura maintenue, elle la maintiendra encore, toujours, indéfiniment, et les plus sombres pronostics de M. Poincaré se réaliseront. Cela est, en effet, fort à craindre, si la campagne de M. Charles Benoist ne produit pas les résultats qu’il espère. La réforme électorale ne peut venir que du pays ; inutile de l’attendre d’une Chambre gangrenée. Les idées désintéressées s’oblitèrent de plus en plus dans un personnel parlementaire qui reste trop longtemps aux affaires et qui finit, suivant le mot de M. Poincaré, par y voir un métier : il s’applique même, on l’a vu, à rendre ce métier de plus en plus rémunérateur. L’exemple de la Révolution française est, à ce point de vue, très instructif. L’Assemblée constituante de 1789 décida qu’aucun de ses membres ne serait rééligible aux élections pour l’Assemblée Législative, ce qui a été d’ailleurs une faute. La Convention ne suivit pas cet exemple : tout au contraire, elle prescrivit que les deux tiers de ses membres seraient obligatoirement réélus, et qu’ils le seraient par elle-même s’ils ne l’étaient pas par les électeurs. Cette décision amena immédiatement une insurrection qui, le 13 vendémiaire, fut réprimée par le général Bonaparte au profit du personnel politique d’alors, et quatre ans après, le 18 brumaire, où il opéra pour son propre compte. On le voit, le premier mouvement des assemblées jeunes et encore généreuses est, une fois leur tâche accomplie, de se démettre de leur mandat et de se fondre dans le pays ; et le dernier mouvement des assemblées vieillies et déconsidérées est de se perpétuer à tout prix.

Que fera le gouvernement lorsque, à la rentrée d’octobre, il sera mis en demeure de se prononcer sur cette question angoissante ? Emanation de la Chambre, on ne peut pas attendre de lui plus que de la Chambre elle-même : il serait renversé tout de suite si, pour faire prévaloir une haute pensée politique, il menaçait l’Assemblée dans sa survivance. M. Briand, à la fin de la session dernière, a promis d’avoir une idée sur la représentation proportionnelle dès l’ouverture de la session prochaine : il n’est pas nécessaire d’être grand prophète pour deviner ce que sera cette idée. Ce sera celle de M. Clemenceau qui, dans une interview récente, s’est prononcé nettement pour le maintien du statu quo électoral, et cela dans l’intérêt de la majorité dont un gouvernement créé à son image a pour premier devoir d’assurer le retour. M. Clemenceau et M. Briand défendent la loi électorale actuelle par le même argument qu’employait M. Guizot pour défendre, en 1847, la loi électorale de cette époque contre ceux qui en demandaient alors la réforme. « Messieurs, disait-il, si notre