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jupe élargie en cloche. Puis, fermant les yeux, penchant la tête, avec le souple mouvement d’un nageur, ils flottent, abandonnés sur le fleuve tourbillonnant de l’extase.

Et plus vite, toujours plus vite, sans jamais se heurter, dans la lourde fleur épanouie de leurs robes vertes ou brunes, ils dessinent les ligures des constellations ; ils deviennent le flot, le vent, la planète ; ils participent au tournoiement éternel de l’univers autour de l’axe mystique qui est Dieu. La flûte les appelle ; le tambour les excite ; les voix les poussent, et la béatitude infinie descend sur leur visage, avec la sérénité des morts.

Et quand la valse sainte est terminée, quand ils recommencent leur procession, leur salut, leur hommage, le supérieur, qui n’a pas bougé, lève les bras vers le ciel. Il psalmodie une belle phrase religieuse qui ressemble à notre plain chant, et tout à coup, il exhale une sorte de soupir, un « Ah ! » suraigu qui s’enfle, s’affaiblit, s’achève en murmure…

Cette invocation, ce long trait sonore a traversé le silence. Ainsi, l’étoile monte au zénith, file en courbe décroissante et tombe dans le vide du ciel… Les musiques se taisent. Aux vitres, verdies par le jardin, passent des vols sifflans d’hirondelles.

Les âmes détachées du corps matériel, entraînées dans la spirale vertigineuse, redescendent peu à peu. Et les derviches, pâles, éblouis et mal réveillés, reconnaissent les choses de la terre.


Mai.

Il y a, tout près de chez nous, une fête de mariage, et nous sommes allées voir la fiancée, avec Marika. Un jour de noces, les portes sont ouvertes pour toutes les passantes. Nous avons seulement jeté un manteau sur nos robes d’intérieur qui sont amples, et molles, presque « à la turque. »

« C’est un petit mariage de rien, — dit Marika, — un mariage de pauvres… »

La maison, au fond d’une cour, est basse, obscure, mal aérée. Deux chambres seulement. Et la cour et les deux chambres sont très encombrées par la foule noire des tcharchafs.

Dans la pièce principale, la mariée est assise sur un fauteuil en guise de trône, et sous des festons de mousseline et de roses en papier qui simulent au plafond un dais royal. Contre le mur, on a tendu un panneau de satin brodé, en paillettes d’argent et fleurs de soie. Tout autour de la chambre, les parentes et les