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visiteuses sont rangées sur une estrade à deux marches, et au milieu, dans l’espace vide, — quelques pieds carrés, — sont accroupis les musiciens.

Ces musiciens devraient être choisis parmi des aveugles qui font ce métier, et qui, — seuls entre les hommes non eunuques, — sont admis dans les harems. Mais quand il n’y a pas d’aveugles disponibles, l’usage permet de prendre de très jeunes garçons. Ceux-ci ne sont pas tellement jeunes, il me semble !… Ils ont de quinze à dix-huit ans, et ils seraient bien fâchés d’être aveugles, car ils ouvrent des yeux, des yeux !…

La chambre, sauf le dais et le divan, est meublée comme les logemens ouvriers de Charonne ou de Grenelle. Commode de noyer, lampes à pétrole, guéridon de faux acajou que couvre un tapis de jute imprimé ! Et la mariée elle-même, pas jolie, l’air « chien battu, » engoncée dans sa robe de satin broché et son corset roide, me fait penser aux petites mariées souffreteuses qu’on rencontre dans les paroisses de faubourg ou sur les pelouses de Vincennes… Je l’imagine très bien, avec un fiancé en paletot et chapeau rond, flanquée d’une mère à capote de jais, et d’un garçon d’honneur loustic… Mais elle a, cette mariée turque, qu’on devine pauvre, — ses mains sont abîmées par le travail ! — elle a un diadème de diamans sur les cheveux, un collier de diamans sur la poitrine et des rosaces de diamans collées sur les joues !

Les invitées, aussi, resplendissent de joailleries. Et Marika m’explique que c’est la coutume de louer des bijoux pour ces trois jours des fêtes nuptiales. Cependant, dit-elle, des femmes de très humble condition possèdent quelquefois des perles magnifiques, héritage et patrimoine de famille, qu’on ne vend jamais. Les deux vieilles personnes qui sont assises derrière nous, n’ont pas dii louer leurs boucles d’oreilles, ces délicates girandoles de diamans qui brillent au bord de leur serre-tête noir. Tandis que les belles-sœurs et amies de la mariée, — quatre ou cinq jeunes femmes bouffies, énormes, habillées franchement è la turque de vastes blouses bleues et roses, la taille libre, hélas ! de tout corset, — ont emprunté contre argent les orfèvreries étincelantes de leurs parures.

Nous demandons quelques détails… On nous apprend, par l’intermédiaire de Marika, que la fiancée est une fille de campagne, orpheline, plus âgée que son mari. Elle a vingt-quatre