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gorge un petit boa en plumes de coq mauve, un petit boa effiloché, minable, comme on en voit aux vitrines des « chands d’habits… »

Ô Hermann Paul !… Abel Faivre !… Quel modèle pour vous !… Castagnettes aux doigts, elle se place devant nous, les étrangères, et elle commence à remuer frénétiquement sa croupe, ses seins flasques, son ventre obscène… L’auditoire, enthousiasmé, l’excite en battant des mains… La mimique se précise… Les chanteurs s’égosillent… La mariée, cependant, demeure muette, pâle sous sa poudre et ses rosaces de diamans… Elle songe à quoi ?…

J’en ai assez. Je veux m’en aller… Mais comment, sans impolitesse, déranger la danseuse, les musiciens, et toutes ces femmes ? Elles veulent être aimables. Elles nous sourient… Ma voisine, d’un geste gentil, écarte le manteau qui me suffoque et considère ma robe de crêpe turquoise, la brassière Empire, qui a des dessins légers en soutache d’or, et elle dit naïvement :

— C’est des écritures turques que tu as sur la poitrine ?… Elle ne sait pas lire, évidemment. Ces soutaches l’intriguent beaucoup. Curieuse comme les Karagachanes, elle tâte l’étoffe soyeuse, la guimpe de tulle. Les autres veulent voir aussi. Et le chapeau !

— Il ne te gène, pas ton chapeau ?

— Pas du tout…

— Il est grand…

Elles le trouvent trop simple. Une écharpe de salin, un bouquet de roses… Rien que ça… Je ne dois pas être bien riche… D’autres dames franques ont de plus jolis chapeaux, qui viennent de Fera, qui sont empanachés comme des volières et fleuris comme des jardins…

Quand elles m’ont assez regardée, elles examinent la robe grise de Marguerite T…, son collier de perles, ses bagues.

Qu’il fait chaud ! Un bébé pleure… Les parentes de la mariée échangent des propos bien amusans, car elles se tordent de rire… Une grosse blonde écroulée, endiamantée, de figure assez agréable, s’interrompt tout à coup. Elle dégrafe sa blouse, sort, — sans la moindre pudeur, — une mamelle déformée, qui pend, jaunâtre sur le satin rose cru. Et tandis qu’on cherche le nourrisson, elle se reprend à fumer et à rire, devant les musiciens…

Charmante réunion !… Et toute pleine de poésie orientale !…