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ans ; lui, dix-neuf. Une tante a fait le mariage. Les époux se sont vus, hier, pour la première fois, — dix minutes, le matin. — Il a trouvé la fille à son goût, et la embrassée, en signe d’acceptation. Puis, il s’est retiré avec ses camarades qui festoient de leur côté, et il est revenu le soir…

— Ils ont passé la nuit ensemble…, dit la vieille dame aux belles boucles d’oreille. Il lui a ôté les fils d’argent qu’elle avait dans les cheveux[1]… Et maintenant, on attend la belle-mère…

— Pourquoi ?

— Pour constater… l’innocence de l’épouse… On a gardé les preuves, vous comprenez ?…

Je comprends ainsi l’air « chien battu » de la nouvelle dame… Cet époux qu’elle ne connaissait pas hier matin !… La vieille assure qu’elle en est contente, très contente… C’est donc un contentement intérieur, tacite…

L’odeur écœurante qui m’avait chassée du tekké des hurleurs, l’odeur de la foule féminine des basses classes, — corps mal lavés, linge douteux, — se répand dans la chambre. Sans cesse, des visiteuses arrivent, des passantes qui lèvent leurs voiles de visage, et s’asseyent en comprimant les voisines. Quelques-unes portent ou conduisent de petits enfans qui piaillent. Les musiciens reprennent leur vacarme, leur chanson à trémolos déchirans, et, dans le cercle un peu élargi, paraît la Danseuse !

La danseuse orientale, l’almée, la bayadère, la houri, la femme-volupté qui hante les rêves des collégiens et danse dans les strophes des poètes — La voici, dans sa réalité, sans préparations ni trucs à l’usage des voyageurs affamés de poésie… La voici, telle que le petit peuple de là-bas la connaît et l’aime, telle que je l’ai vue, de mes yeux.

Une grosse femme, pas jeune, — ce qu’on appelle chez nous une « dondon, » — habillée d’une jupe courte à trois volans de mousseline, qui découvre des mollets de femme-torpille, des bas de coton rayés blanc et bleu, des pantoufles de satin sans quartier. Le corsage léger n’a pas de baleines. Il contient difficilement une énorme masse mouvante qui apparaît par le triangle du décolletage, La face lunaire s’arrondit, entre des pendeloques de strass et des piquets de fleurs artificielles. Et, par un raffinement exquis, la danseuse a disposé sur ses épaules et sa vaste

  1. Ces fils d’argent ont la signification symbolique de la couronne d’oranger.