Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/774

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point de laquais, il prit un paysan et, dans cet équipage, il s’achemina vers Fontainebleau. Son arrivée fut pittoresque. Il débarqua le jeudi 26 octobre, à la nuit tombante. Personne ne l’espérait si tôt. « Il descendit au Cerf, place du Charbon, où l’aubergiste, ne le connaissant pas, refusa de le loger, l’assurant que, comme le nouveau ministre de la Guerre était attendu, toutes ses chambres étaient remplies par des militaires venus de Paris pour le voir[1]. » Il n’insista pas davantage et « chercha gîte dans une auberge borgne, où il commanda son souper. » Ce fut laque Maurepas, prévenu de l’incident, le fit quérir pour l’installer-dans le logement de feu le maréchal du Muy, où rien, du reste, n’était prêt, et où il dut « faire porter son souper d’auberge. »

MM. de Maurepas et de Malesherbes vinrent le chercher dans la matinée du lendemain pour le présenter à Louis XVI. « Voici, dit l’abbé de Véri, son premier propos à M. de Maurepas : « Monsieur, vous m’avez tendu dans ma misère une main secourable[2]. Ce bienfait ne sortira jamais de mon cœur. Vous m’avez ensuite appelé ici ; ce n’est pas de cela que je vous remercie. Si mes forces et mes talens peuvent suffire à la tâche, j’en serai heureux. Si je n’y fais rien de bon, ma maison de campagne est toujours prête à me recevoir. » Son entrevue avec le Roi fut d’une simplicité cordiale. Louis XVI, dès qu’il le vit entrer, lui remit de sa main ce cordon rouge auquel il avait naguère renoncé, lui promit une somme assez forte pour « se meubler et monter sa maison, » lui témoigna l’estime la plus flatteuse et la plus affectueuse confiance. Quand Saint-Germain sortit de la chambre du Roi, « il fut facile de remarquer la joie très vive qu’il éprouvait de son élévation[3]. »

L’impression première du public, quand il connut le nom du nouveau secrétaire d’Etat, fut une surprise profonde. « Ce choix est sublime, s’écriait Mme de Civrac, et il faut qu’il le soit, car autrement il serait extravagant. » Les jours suivans virent se manifester, dans les sphères politiques, une satisfaction enthousiaste. Toute la France, à cette heure, semblait prise, en effet,

  1. Lettre du sieur Rivière au prince X. de Saxe, du 27 octobre, et Journal de Véri.
  2. Le comte de Saint-Germain ayant perdu la plus grosse partie de sa fortune par la malhonnêteté d’un homme d’affaires, Maurepas, dès le début du règne de Louis XVI, lui avait fait donner une pension sur la cassette du Roi.
  3. Mémoires du prince de Montbarrey.