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momie l’adore… Il est l’enfant mâle qui contenta l’orgueil du pacha, et qui lui succède maintenant, comme chef de famille. Et c’est très habile ce qu’elle a fait, cette Sara stérile, en acceptant de bonne grâce, en conseillant le choix d’une Agar féconde… Elle a évité d’être renvoyée… Mieux vaut la polygamie que le divorce… Toute cette famille est heureuse, unie, grâce à la sagesse de cette vieille. Et le défunt époux la bénit du haut du Paradis musulman.

Il est très vrai que la bru, et les deux belles-mères, se traitent avec égards et même avec amitié. Nous essayons de les faire causer. Je leur demande comment elles passent leurs journées, si elles désirent un peu plus de liberté, et ce qu’elles pensent des Européennes.

Elles répondent avec une franchise qui semble réelle… Ce qu’elles font ?… Le matin, elles préparent elles-mêmes le déjeuner du bey, leur fils, beau-fils et mari ; elles veillent à sa toilette, brossent ses vêtemens, et lui nouent sa cravate. L’après-midi, quand la maison est en ordre, elles font ou reçoivent des visites. Le vendredi et le dimanche, elles se promènent au Vieux-Sérail et goûtent sur l’herbe, avec leurs esclaves… Elles vivent à peu près comme nos petites bourgeoises de province, avec cette différence qu’elles portent une voilette inamovible et ne reçoivent pas les amis de leurs maris. Mais elles s’invitent entre elles, combinent des mariages, colportent des nouvelles, voient tout et tous sans être vues. Elles connaissent très bien Marguerite, son mari, sa jolie petite fille… Et elles ne s’ennuient pas, bien qu’elles soient assez ignorantes et ne lisent guère que le journal…

— Pas de romans traduits ?

La bru se récrie. Non ! son mari ne lui permet pas de lire les livres « où l’amour est écrit. » Il ne veut pas qu’elle sache « comment les autres hommes aiment… »

La dame invitée, qui est une personne de bon sens, et très distinguée, malgré ses mains teintes au henné, en rouge orange, exprime une vive horreur pour les nouveautés en matière de mœurs, et de religion.

Que chacune vive selon sa foi, les Chrétiennes selon la loi de Jésus, les Juives selon la loi de Moïse, les Musulmanes selon la loi de Mahomet… Les Occidentales ont raison de découvrir leur beauté et de parler aux hommes, si elles ne commettent