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nettoie. Quand ils sortent, tous les mendians de Jérusalem s’abattent sur eux comme une nuée de sauterelles, pour leur arracher les quelques sous qu’ils peuvent avoir. Ils sont hideux, ces professionnels de la mendicité ! Fausses infirmités, fausses plaies, grimaces, contorsions, bonimens hypocrites et pitoyables, c’est une véritable Cour des Miracles lâchée dans la rue ! Or, ce soir-là, comme d’habitude, les mendians assaillaient les pèlerins à la sortie de l’hospice. Presque tous se laissaient apitoyer par cette simulation et cette mise en scène de la douleur : dévotement, ils déposaient leur obole dans la sébile tendue. Je suivais cette comédie navrante, lorsqu’une vieille matouchka alourdie d’une graisse malsaine, la dernière de la troupe, est relancée par un cul-de-jatte. Je la regarde : elle est en guenilles, le visage dur, les yeux torves enfoncés sous la broussaille des sourcils. A la vue du cul-de-jatte, l’expression de ses traits se durcit encore. Elle n’a pas un kopek à lui donner. Elle passe. Le coquin la poursuit en poussant des cris déchirans. Elle s’arrête… Alors, avec le geste de quelqu’un qui abandonnerait tout, elle tire de son châle une miche de pain, — tout ce qu’elle possède, — et, comme si elle lui offrait un trésor, elle donne son pain à l’homme, qui ricane et qui hausse les épaules. Mais elle ne voit rien, elle n’entend rien, elle court pour rattraper les pèlerins, légère maintenant, les traits détendus, le regard comme en extase, heureuse, oh ! si heureuse d’avoir fait cela pour le Christ !…


IV

Les esprits secs et prétendus positifs auront beau épiloguer : ce grand amour, qui précipite, tous les ans, vers la Palestine, des milliers et des milliers de pèlerins, ne s’expliquerait pas, s’il n’était que le succédané d’une propagande politique et commerciale. Le résultat serait vraiment disproportionné avec l’énormité de l’effort. Somme toute, si môles de bassesse que soient toujours les mobiles humains, on peut soutenir que le perpétuel exode des religions occidentales vers la Palestine et tout l’Orient musulman n’a pas d’autre objet que le Christ et la diffusion de la charité qu’il prêcha. Depuis des siècles, le mouvement se perpétue, tantôt victorieux, tantôt ralenti par la résistance de l’Islam, mais jamais complètement interrompu. A