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ses tourelles et ses coupoles d’acier. C’était l’hospice, que devaient diriger les sœurs allemandes de Saint-Charles. On l’a planté là, écrasant et agressif dans sa masse et sa laideur, en face de Notre-Dame de France et de notre Hôpital Saint-Louis. De tous côtés, l’étranger pousse ses forteresses parmi les nôtres que nous abandonnons. C’est à qui entassera les plus formidables et les plus indestructibles. Cela devient une véritable frénésie d’ostentation et de rivalité.

Et cependant, malgré la multitude de ces bâtisses, malgré l’épaisseur des murs faits pour défier les siècles, malgré le flux perpétuel de l’invasion occidentale, on a l’impression confuse que tout cela est en l’air, que ces fondations n’ont pas de racines profondes dans le sol, que ce décor chrétien est factice et imposé. On se demande avec angoisse : « Qu’arriverait-il, si nous n’étions plus les plus forts ? » Qu’on se rappelle ce qu’étaient nos établissemens de Terre-Sainte et du Levant, au début du siècle qui vient de finir. Pour se remémorer combien l’existence en était précaire, à quelles vexations et à quels dangers les nôtres y étaient exposés, en ce temps-là, il n’est que de relire l’Itinéraire de Chateaubriand. C’est seulement depuis cinquante ans environ, c’est-à-dire depuis la débâcle complète de l’absolutisme ottoman, que nous avons pu prendre pied dans le pays et nous y installer avec une sécurité relative. Le couteau sur la gorge, l’Islam nous subit, résigné dans son humiliation momentanée et se répétant que l’avenir est à Dieu. Quiconque se rend compte de tout ce qu’il y a d’incompatible entre le Musulman, — disons même l’Oriental, quel qu’il soit, — et l’Européen ; quiconque perçoit les frémissemens d’impatience, l’irritation sourde que cause, là-bas, notre présence trop encombrante, tous ceux-là n’accueillent qu’avec beaucoup de scepticisme l’idée d’une conquête pacifique et définitive de l’Orient. Devant le faste de nos établissemens encore si jeunes, ils éprouvent un peu de la tristesse et du découragement qui nous prennent au spectacle de ces ruines immenses, dont la civilisation romaine a couvert l’Asie Mineure, la Syrie, l’Égypte, l’Afrique du Nord, — tout le domaine du Croissant ! Ces temples, ces théâtres, ces thermes et ces aqueducs, eux aussi, ils semblaient bâtis pour l’éternité ! Comme il a fallu peu de temps pour balayer tout cela ! On dirait un cataclysme naturel, une revanche du vieux sol barbare fatigué de porter des races qui ne sont point ses enfans !