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années, avait perdu la moitié de son âme. M. Pierre Aubry ne s’est proposé rien moins que de la lui rendre. Et cela n’est pas sans plusieurs conséquences, qui se déduisent aussitôt. Cela d’abord honore singulièrement troubadours et trouvères. À la fois poètes de leur musique et musiciens de leur poésie, la plupart d’entre eux nous apparaissent comme les artisans, — oh ! très primitifs encore et sans doute inconsciens, — d’une forme, supérieure à toute autre, parce que seule elle est une, de la composition lyrique. En outre, par cette réunion des deux élémens du lyrisme parfait, nous voyons se reconstituer en son intégralité la figure et la nature même, longtemps mutilée, d’une grande période de l’art. À ce retour, à cette rentrée de la musique dans le génie du moyen âge, les musiciens ne sauraient trop applaudir. Enfin, ce moyen âge étant le nôtre, puisque troubadours et trouvères ont été nos poètes et nos musiciens à nous, après avoir vu jusqu’où s’étend le sujet d’un tel ouvrage, nous sentons assez comme il nous touche et tout ce qu’il a, non plus seulement de général, mais, pour nous Français, de prochain.

« Écoutons donc chanter les contemporains de Philippe-Auguste ou de saint Louis. Nous le pouvons. Nous ne les entendons pas parler, mais nous les entendons chanter. Nous ne savons pas au juste comment ils prononçaient leur langue, mais nous sommes en mesure de reconstituer leurs mélodies avec une précision véritablement scientifique. » C’est au moins ce que l’auteur affirme et démontre. Nous vous prions seulement de l’en croire, après nous, comme nous.

« Écoutons-les chanter… » mais pas à l’église. Il n’est point ici question de la musique liturgique et de cette forme d’art, active alors et vivante, qu’est le chant grégorien. Ne les écoutons pas non plus chanter à plusieurs voix, suivant les règles de l’un ou de l’autre des trois genres dont se composait la polyphonie du temps : l’organum, le conductus et le motet. Non. Les chansons de troubadours et de trouvères sont toujours des mélodies. Elles sont, presque toujours aussi, des mélodies profanes. Mais, inspirées par la vie du « monde » ou du « siècle, » et faites pour elle, c’est de cette vie et de cette vie entière, de tous ses états, de tous ses besoins, de tous ses plaisirs, qu’elles furent l’accompagnement autrefois et qu’elles demeurent encore, à leur manière, le témoignage et la représentation.

Il est désormais établi, par les recherches et les découvertes de Gaston Paris, que toutes les variétés de la lyrique du moyen âge eurent une seule origine : le chant populaire issu des fêtes de mai, calendas maias ou maieroles. Au temps du renouveau, « et particulièrement le