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qui est arrivée au livret comme à la partition de la Flûte Enchantée, et qui toujours, jusqu’ici, avait forcé les précédons traducteurs français du chef-d’œuvre de Mozart à remplacer l’intrigue originale de la pièce par un scénario de leur invention, mieux approprié à notre besoin naturel d’ordre logique et de vraisemblance.

Lorsque, dans les premiers mois de 1791, l’imprésario et librettiste viennois Schikaneder obtint de son ami Mozart la promesse d’une partition musicale pour un « opéra-comique allemand » qu’il comptait faire jouer sur la scène de son nouveau théâtre, le manuscrit qu’il lui confia, — et dont nous savons désormais qu’il avait été rédigé, en majeure partie, par l’acteur, poète, minéralogue, et haut dignitaire maçonnique Charles-Louis Gieseke, devenu plus tard baronet anglais et professeur de sciences naturelles à l’université de Dublin, — avait pour sujet la victoire remportée par la Reine de la Nuit, personne infiniment vertueuse et touchante[1], sur un mauvais magicien appelé Sarastro, qui longtemps avait gardé prisonnière la fille bien-aimée de cette princesse, mais se voyait enfin condamné à la restituer, après toute sorte d’exploits accomplis contre lui par le jeune prince Tamino, mais surtout grâce aux prodiges opérés par une flûte merveilleuse que la bonne Reine de la Nuit avait donnée à Tamino pour l’aider à reconquérir sa chère Pamina. Ce sujet avait été emprunté par Schikaneder et son collaborateur Gieseke à un conte du poète Wieland, Lulu, ou la Flûte Enchantée, paru en 1789 dans le troisième et dernier volume d’un recueil d’histoires merveilleuses, un peu à l’imitation de notre exquis et incomparable Cabinet des Fées. Sur quoi Mozart, aussitôt, s’était mis à l’œuvre, ravi d’un sujet qui répondait excellemment à son goût naturel de légère et vivante rêverie poétique ; et déjà il avait composé les premières scènes du livret, où la Reine de la Nuit révélait au jeune Tamino la douleur angoissée de son cœur de mère, et deux ou trois gracieuses dames, ses fidèles suivantes, ayant confié au jeune homme l’instrument magique, l’envoyaient vers la demeure du méchant Sarastro, sous la garde de trois petits pages également dévoués à la noble princesse. Mais voici que, à ce moment, un théâtre rival de celui de Schikaneder offrit au public viennois un opéra-comique de Wenzel Müller, Gaspard le Joueur de Basson, ou la Cithare Enchantée, qui, pareillement, s’inspirait du conte de Wieland ! Impossible de songer maintenant

  1. Le nom véritable de ce personnage, dans les premières scènes du livret de Schikaneder comme dans le conte de Wieland, n’avait, d’ailleurs, rien de ténébreux : elle s’appelait « la Reine flamboyante d’étoiles. »