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les acteurs sont accoutumés à leurs caractères ; et l’on peut aisément, avec la pièce ancienne déjà derrière soi, renforcer les situations et les événemens, en donnant à une telle œuvre beaucoup de vie et d’intérêt dramatique. » Il ajoute que ce nouveau livret, tel qu’il l’a en tête, permettrait « d’utiliser les décors et costumes de la première Flûte Enchantée, » et que, d’ailleurs, il s’est arrangé de telle sorte que « le souvenir de l’opéra de Mozart demeure sans cesse présent à l’esprit des auditeurs. » A quoi Wranitzky répondit, très modestement, qu’il redoutait un contraste trop marqué entre sa propre musique et celle de Mozart : mais surtout, sa réponse nous laisse deviner que la direction de l’Opéra Impérial de Vienne n’admettait pas de payer à Gœthe les énormes droits d’auteur exigés par lui.

Cependant, le poète ne se résignait pas à perdre les quelques scènes qu’il avait composées. En mai 1798, il écrivait à Schiller qu’il s’était remis à la rédaction de son livret, ce qui lui avait fourni l’occasion « de faire, de nouveau, quelques expériences très intéressantes, se rapportant aussi bien à son sujet particulier qu’au drame et à l’opéra en général. » Vainement Schiller l’engageait-il à se défier d’une entreprise où « tout le talent du poète ne suffirait pas à compenser une musique trop peu réussie, » Gœthe continuait de travailler à son libretto, comme aussi de le proposer à tous les musiciens qu’il rencontrait, Kayser, Reichardt, Zelter, et d’autres encore. Pour éveiller la curiosité de compositeurs inconnus, il publiait, en 1800, plusieurs scènes de sa pièce dans un Livre de Poche, ou almanach, du libraire Wilmans, qui le remerciait de cette précieuse collaboration en lui envoyant deux tonneaux de vin vieux. Seule, l’apparition d’une autre Seconde Partie de la Flûte Enchantée, mise en musique par le compositeur populaire Winter sur un livret de Schikaneder lui-même, le décidait enfin, vers l’année 1801, à abandonner une tentative manifestement condamnée, désormais, à ne pas aboutir ; et c’est alors que, dans la première édition complète de son œuvre, il livrait au public la totalité du long a fragment dramatique, » ainsi ébauché et quitté à maintes reprises depuis six ou sept ans.


Ce « fragment » comprenait, à quelques lacunes près, tout le premier acte de la pièce, qui, de même que celle de Schikaneder, devait être divisée en deux grands actes, avec de nombreux changemens de décor. Le poète nous conduit d’abord dans une grotte obscure, pareille à celle où, au second finale de la Flûte Enchantée, la Reine de la Nuit, Monostatos, et les trois Dames jurent de tenter un dernier effort pour