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l’instruction laïque contre les « ennemis de la République, » car on est un ennemi de la République lorsqu’on dénonce les abus commis par certains instituteurs. Nous retrouvons ce langage jusque dans la bouche de M. le président du Conseil, et quand nous le rapprochons de celui qu’il a tenu hier au banquet de Périgueux, nous avouons ne plus comprendre.

C’est pourquoi, tout en reconnaissant ce qu’il y a de généreux dans le discours de M. Briand, il convient de l’attendre à ce qu’il appelle lui-même les réalisations. « Je suis l’homme des réalisations, » a-t-il dit : quelles seront-elles ? En ce qui concerne, par exemple, les réformes de nos mœurs politiques et électorales, M. Briand sera-t-il vraiment l’homme qu’il promet d’être ? Le tableau qu’il a fait des vices honteux qui déshonorent chez nous l’exercice du gouvernement parlementaire est d’un réalisme effrayant, c’est-à-dire d’une vérité frappante. On aurait pu croire qu’après l’avoir tracé d’une main impitoyable, il aurait conclu au scrutin de liste et à la représentation proportionnelle, mais il s’en est soigneusement gardé. Il s’est contenté de dire, ce qui est bien vague, qu’il était partisan de l’élargissement du scrutin, mais il a ajouté qu’il ne voulait « rien l’aire dans cette voie sur l’injonction des ennemis de la République. » Toujours les ennemis de la République ! M. Charles Benoist. M. Jaurès, sont-ils du nombre ? M. Briand était bien obligé de parler de l’impôt sur le revenu, et naturellement il a déclaré que c’était là une des réformes auxquelles le gouvernement s’attacherait de toutes ses forces. Cependant il serait facile de trouver dans ce passage de son discours la condamnation à peine voilée du projet que M. Caillaux a fait voter à la Chambre. « Je ne suis pas, a-t-il dit en effet, de ceux qui pensent que les porte-monnaie sont à la disposition du gouvernement, qu’il peut y pénétrer avec effraction, et y prendre à sa guise pour réaliser des idées de justice sociale : ce serait trop simple ! » Voilà qui est bien ; mais, à côté de cette phrase, qui a été, paraît-il, très applaudie, d’autres sonnent autrement, et entre les unes et les autres la conciliation est difficile : nous attendons de voir comment M. Briand la fera. À quoi bon pousser plus loin le parallélisme de nos espérances et de nos inquiétudes ? Il faudrait suivre d’un bout à l’autre tout le discours. Nous aimons mieux dire qu’il se termine ; par une péroraison éloquente, dans laquelle M. le président du Conseil a parlé de l’armée avec un accent qui a fait vibrer d’émotion son auditoire et qui n’aura pas en France un moindre succès. Il est probable que M. Briand tenait à faire ces déclarations patriotiques : nous y applaudissons de grand cœur.