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entre une attaque directe de la montagne, ou un mouvement à longue envergure qui permettrait de la tourner et d’en occuper ou d’en commander les issues. La première solution était la plus courte, mais la seconde était la plus sûre et celle qui, sans conteste, devait coûter le moins de sang. Le général Marina n’a pas hésité à l’adopter. Tout le monde connaît aujourd’hui la topographie de cette partie du Maroc ; les journaux l’ont reproduite dans des cartes qui parlaient aux yeux. Il a été facile de suivre pas à pas la marche des Espagnols qui, après avoir contourné la Mar-Chica, ont finalement abouti à Sélouan, c’est-à-dire au but qu’ils avaient fixé à leurs opérations. Sélouan a été occupé et le drapeau espagnol a été hardiment planté sur les cimes les plus élevées du Gourougou. On en a ressenti dans toute la péninsule une joie d’autant plus vive que l’expédition du Maroc n’y est pas populaire ; elle y suscite encore plus d’appréhensions que dans le reste du monde ; on y aspire avidement à en voir la fin et on a cru y être arrivé. Malheureusement, on se trompait. Les Riffains ont été partout battus et refoulés, mais ils ne sont pas découragés et ils n’ont pas renoncé à reprendre l’offensive. Une reconnaissance que les Espagnols ont faite a failli mal tourner pour eux ; elle a été glorieuse, mais meurtrière. Le général Marina a senti qu’il avait besoin de renforts, non seulement pour aller plus loin, mais même pour garder les positions qu’il avait conquises. Il les a demandés et les a reçus aussitôt. C’est alors que les appréhensions sur les projets véritables du gouvernement espagnol ont atteint le plus haut degré d’acuité.

Le général d’Amade, dans l’interview dont nous avons déjà dit un mot et sur laquelle nous aurons à revenir dans un moment, a rappelé qu’il avait pacifié la Chaouïa avec 15 000 hommes, et a conclu du fait que les Espagnols en avaient envoyé 50 000 à Melilla, qu’ils avaient d’autres vues que la simple pacification de cette région du Riff. Cela prouve à quel point il faut se défier des chiffres, quand on les fait parler seuls. Il n’y a aucune comparaison à établir entre la Chaouïa qui est une plaine avec des ondulations de terrain peu élevées, riche d’ailleurs et habitée par une population adonnée aux travaux champêtres, et les montagnes du Riff, rudes, pauvres, habitées par une population guerrière, violente et pillarde. Si les Espagnols poussaient plus loin leurs opérations militaires, ils se heurteraient à des difficultés très supérieures à celles que nous avons rencontrées nous-mêmes. Au reste, le passé, si on veut bien s’y reporter, éclaire le présent beaucoup mieux que ne pourraient le faire des argumens toujours sujets à caution. Ce n’est pas la première