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proscrite ; elle a été proscrite par la Restauration qui l’a été en 1830 elle-même, et en ce moment, proscrits et proscripteurs sont enveloppés dans la même proscription. Voilà ce qui m’émeut, et devant ce grand exemple des vicissitudes du monde, je voudrais que l’on respectât le malheur de ce jeune homme, qui, au lieu de siéger dans ce Sénat où il tiendrait honorablement sa place, est puni pour porter un nom glorieux. Que la raison d’État l’emporte, que le malheureux prince soit banni de son pays, si le repos public l’exige ; qu’il soit puni du crime de sa naissance ; mais ne dites pas qu’il n’est pas Français ! »

Et voilà bien la vraie qualité de cet homme, qui fut surtout, même à la tribune, un avocat d’assises : il a le pathétique ; il l’a faux, et à merveille, quelquefois, nous l’avons vu ; il l’a vrai, fort, pénétrant, presque profond assez souvent. Dans ce même procès des conspirateurs de Limoges où vous l’avez peut-être trouvé ridicule, il rencontre ceci : l’accusation tournant contre un certain Raybaud des propos de sa femme. L’occasion est belle pour un développement dramatique. Il se rue sur elle, comme vous pouvez croire, mais il en tire un très beau parti : « L’accusation… va jusqu’à essayer de perdre Raybaud par sa femme. Dieu ! où vivons-nous donc ! Quels temps que les temps politiques ! Quels procès que les procès politiques ! Invoquer le témoignage d’une femme contre son mari ! Quel renversement de toutes les notions de droit ! Que parlé-je du droit quand je dois parler de l’humanité ! Quand la loi défend au magistrat d’entendre la femme dans un procès où l’honneur de son mari est engagé, ce n’est pas qu’elle ait manqué de foi en son témoignage ; non ; mais elle a cru à ce glorieux mensonge, splendide mendax, de la fille de Danaus. Elle a dit, la Loi, dans son respect profond pour le mariage : Ne séparez pas ce que le ciel a uni. Innocent, elle le sauverait ; criminel, elle le sauverait encore. Et vous ramassez les paroles tombées de la bouche de la mère, de l’épouse, pour perdre le père et le mari ; vous la faites parler pour condamner et vous la repoussez de cette barre quand elle veut parler pour absoudre ! Ah ! s’il était possible que Reybaud fût condamné, voyez jusqu’où vont vos imprudences : les en fan s du proscrit diraient à leur mère : « Ce n’est pas la loi qui l’a tué ; ce n’est pas le magistrat, ce ne sont pas les témoins, c’est toi, notre mère, c’est toi qui nous l’as ravi ! »

Reconnaissons du reste, encore qu’il soit surtout avocat