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saurait contester leur compétence, leur impartialité. En perpétuel contact avec les équipages, ils peuvent, mieux que qui que ce soit, juger de la justesse ou de l’inanité de leurs réclamations et sont, en somme, responsables de tout ce qui se passe à leur bord. Il est difficile que les états-majors n’aient pas été vivement peines et froissés de l’inexplicable et injuste ostracisme dont ils ont été frappés ; et nous nous permettrons de répéter, à cette occasion, que le jour où l’on aura laissé porter atteinte à l’autorité du commandant, à bord, le jour où le commandant sera, pour ainsi dire, le subordonné du délégué du syndicat, — et c’est là le but poursuivi par les meneurs, — il n’y aura plus de navigation possible, et la marine marchande française aura vécu.

Une grève, surtout une grève subite, a des conséquences infiniment plus graves et des répercussions beaucoup plus vastes pour l’industrie de l’armement que pour les autres. Elle peut presque être assimilée à celles qui se produisent dans les chemins de fer ou dans un autre service public.

Il n’en est pas de l’expédition d’un navire pour le long cours, et même pour le cabotage, comme du départ d’une automobile pour Versailles ou Saint-Germain. Le public français, qui a le tort de trop se désintéresser des questions maritimes, serait certainement surpris des approvisionnemens de tous genres qui sont nécessaires à ces villes flottantes, du chiffre des dépenses occasionnées par leur mise en mouvement et de la perte énorme, des embarras multiples entraînés par le brusque arrêt dans un départ, et même par un retard de quelques heures. Mais si le public l’ignore, les inscrits, les hommes qui composent les équipages le savent fort bien, et il est douloureux de constater qu’ils ne se préoccupent en rien des intérêts primordiaux d’une industrie à laquelle ils collaborent, dont le caractère est essentiellement national, à la prospérité de laquelle ils devraient tenir, puisqu’ils en vivent, tandis qu’ils travaillent journellement à sa ruine, sous l’œil indifférent des représentans de l’autorité.

En somme, les inscrits ne sont plus les collaborateurs de l’armement, mais ses ennemis déclarés et prêts, au moindre signe de leurs chefs, à manifester leur mauvaise humeur, pour ne pas dire leur haine.

Comment expliquer ce fait étrange, si ce n’est par les détestables conseils que leur infusent quelques meneurs qui ont su gagner leur confiance, en exploitant les plus mauvais sentimens,