Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tcharchaf. Ce sera fort bien, pour mes petites-filles, mais pour moi ? Je serai vieille et laide, moi, dans cinquante ans !

— Eli bien, mademoiselle, vous aurez mérité, par votre obéissance aux lois religieuses, une place dans le paradis.

— Dans le paradis de Mahomet ! Il n’y aura que des hommes. Même dans l’autre monde, les femmes seraient… comment dites-vous ? « roulées. »

— Vous n’êtes donc pas bonne musulmane ?

— Hum !… N’insistez pas… Et d’ailleurs, on sait pourquoi le Prophète a imposé le voile aux femmes ! Il avait vu la femme d’un ami et il l’avait trouvée trop charmante. Il l’obligea de divorcer et l’épousa. Mais après, il se dit : « Si un autre homme voit ce beau visage, il fera ce que j’ai fait. » Cette idée lui était désagréable, infiniment. Alors, pour n’être pas trompé, il fit voiler sa femme et toutes les femmes des autres. Croyez-vous qu’elle est très édifiante, cette histoire-là ?

Mai.

— Les femmes ne sont pas seules à se plaindre, — me disait hier Adrien B… — Quelques jeunes hommes, élevés en Europe sont peu satisfaits du mariage que leurs parens arrangent, à la mode turque. Ils épousent des Européennes, ce qui ne va pas sans risques et sans déceptions. Ou bien, ils font comme mon ami Hassan bey.

— Racontez-moi l’histoire de votre ami Hassan bey.

— Hassan bey est employé dans une grande administration. Il a fait ses études en France, et il a senti, vivement, le charme de la société féminine. Quand il a dû se marier, — voilà deux ans bientôt, — j’ai cru qu’il épouserait une Occidentale ou une jeune fille turque très moderne, très francisée. À ma grande surprise, il choisit, ou plutôt laissa choisir par sa mère une fillette de dix-neuf ans, élevée à l’ancienne mode, très pieuse, très docile, et sachant tout juste lire et écrire.

Un mois après les noces, Hassan bey fut envoyé à Paris pour les affaires de l’administration. Il y demeura près d’une année, et je l’y trouvai pendant un congé que je pris. Sa petite femme lui avait donné un fils, qu’il ne connaissait pas encore. Il se réjouissait de la revoir et m’emmena un jour, chez Paquin, pour commander des robes qu’il voulait emporter. Nous revînmes presque en même temps. Hassan bey et les robes de