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Les dames turques qui ont du bon sens, comprennent, et se résignent. Mais d’autres, — les très jeunes, — répondent comme la petite Eminé :

« Peu m’importe le bonheur de mes descendantes ! Je n’ai que ma vie à vivre, et je veux la liberté tout de suite ou jamais. »

Pour celles-là, il n’y a pas de consolations…

Les femmes chrétiennes de l’Empire ne sont pas restées indifférentes aux efforts des femmes musulmanes. J’ai pu voir une jeune Arménienne, écrivain fort distingué, paraît-il, qui songe à fonder une Association de solidarité des femmes ottomanes. Mme Zabel Essaïan, secondée par Mme Hassan Fehmi bey, — une Française mariée à un Turc, — voudrait former un comité de neuf dames, tant musulmanes que chrétiennes. Par les réunions, conférences, publications, par l’enseignement gratuit et réciproque de la langue turque aux chrétiennes et des langues occidentales aux musulmanes, l’Association préparerait l’entente de toutes les femmes pour la sauvegarde de leurs intérêts communs.

Les événemens d’avril ont retardé la formation de ce comité et je n’ai pu avoir aucun détail précis sur l’organisation pratique de l’Association. Néanmoins, je tiens à signaler ce projet très intéressant, difficile, mais non pas impossible à réaliser.


Juin.

Me voici, pour un jour encore, dans ma chambre toute petite, toute blanche de laque, de mousseline et de soleil, dans ma chambre où les roses des porte-bouquets se renouvellent comme par miracle, où, sur mes cahiers de notes, les fins loukoums du confiseur Hadji-Békir répandent leur amidon sucré qui sent la vanille et l’orange.

Je soulève le rideau ; je regarde entre les volets. Quelle foule dans cette rue des Petits-Champs, devenue un lieu de plaisir depuis que le jardin s’est rouvert ! Les tables des cafés encombrent le trottoir, débordent sur la chaussée, gênant le trot des chevaux et les ébats des chiens jaunes. L’odeur anisée du mastic avive la soif des passans. Que de fez rouges mêlés aux chapeaux de paille, que de belles-dames en robes claires, que de voitures, que de crieurs de journaux ! Un régiment passe, drapeau déployé, les hommes en tenue de campagne, portant sur