Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus fines, plus riches, plus avides, qui ne savent où se prendre. Si le mariage ne leur apporte pas la douceur d’une affection intelligente, si la maternité ne canalise pas leur ardeur confuse et débordante, elles se déséquilibrent, dans la rêverie pernicieuse et l’ennui stérile.

On répond à leurs plaintes : « Sachez attendre. Votre heure n’a pas sonné. En aidant, selon votre pouvoir, à l’avènement du nouveau régime, vous n’avez pas travaillé pour vous, mais pour les femmes qui naîtront de vous, vos filles et petites-filles. N’accusez pas trop les hommes, s’ils vous ménagent avec parcimonie la liberté. À peine l’ont-ils conquise pour eux-mêmes. À peine commencent-ils l’œuvre de civilisation plus difficile en Orient que partout ailleurs, à cause du mélange des races et des religions. Puisque vous êtes patriotes, faites un sacrifice aux intérêts immédiats de votre pays. Ne compliquez pas la tâche de ceux qui gouvernent. Il y a parmi eux des hommes justes, qui comprennent vos aspirations, qui reconnaissent vos droits, et voudraient vous faire, dans la Turquie nouvelle, la place que vous méritez. Mais ces hommes sont peu nombreux. Ils doivent compter avec le fanatisme de leurs électeurs et les préjugés de leurs collègues. Vos exigences prématurées, vos imprudences, deviendraient des armes terribles contre eux, vos amis, et contre vous.

« Vous avez pour vous la sympathie de toutes les femmes européennes. Celles qui vous ont entrevues vous feront aimer par celles qui vous ignorent. Nous pensons à vous comme à des sœurs lointaines. Si nous pouvions, — ce qui n’est pas sûr, — vous aider par un mouvement d’opinion favorable à vos désirs, nous y emploierions toute notre adresse, toute notre influence, toute l’énergie de notre amitié. Mais, si elle n’était prudente, notre intervention désintéressée, notre croisade fraternelle, vous ferait plus de mal que de bien.

« Ne désespérez pas, sœurs et amies d’Orient. Les hommes de votre race sentiront tôt ou tard que vous êtes un des agens indispensables au succès de leur entreprise. Leur conception du mariage et de la famille évoluera peu à peu. Ils souhaiteront trouver en vous des compagnes, et non pas des servantes ou des poupées de plaisir. Dans l’intérêt de leur bonheur, dans l’intérêt de leurs fils, ils vous élèveront en dignité et en liberté. Mais il faudra du temps, beaucoup de temps… »