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geons pour le moment la partie de son discours où M. le ministre des Travaux publics a repris son ancien programme socialiste et a annoncé l’intention de le réaliser : la manière dont il a parlé du scrutin de liste et de la représentation proportionnelle nous intéresse aujourd’hui davantage. Bien loin de chercher à atténuer, comme un autre de ses collègues l’avait fait, l’impression produite par le discours de Périgueux, il a renchéri sur tout ce qu’avait dit M. le président du Conseil, poussant l’argument à ses dernières conséquences, renversant les obstacles et cassant les vitres. M. Briand avait parlé de « ces petites mares stagnantes et croupissantes » dont, au dessert, il avait fait monter jusqu’aux narines de ses auditeurs l’haleine empestée. Ces petites mares, formées par les intérêts privés et locaux, M. Millerand a assuré qu’ « il était temps, et grand temps d’y faire passer le grand courant purificateur qui doit enfin, a-t-il dit, entraîner pour jamais loin de nous les procédés détestables, jadis réprouvés avec tant de véhémence et de raison par notre parti. » Et que faut-il pour cela ? Le scrutin de liste et la représentation proportionnelle. M. Millerand ne se fait pas illusion plus que nous sur l’insuffisance de cette réforme, si on la réduit à elle-même ; mais il croit qu’ « on ne se trompera pas en affirmant que rien de décisif, ni même simplement d’utile ne sera fait au point de vue de l’organisation administrative et judiciaire de ce pays ; qu’il ne pourra même pas être question d’améliorer ces mœurs politiques que personne ne défend plus, tant que subsistera le scrutin de clocher. » Hélas ! personne ne défend plus ces mœurs politiques ; on se contente, dans la majorité et dans l’administration qui lui obéit servilement, de les pratiquer sans pudeur. A son tour, M. Millerand les flétrit ; mais elles ont l’habitude d’être flétries, et dans aucun sens cela ne les change. M. Briand n’a-t-il pas commencé son discours de Périgueux en disant que les paroles n’étaient rien ? Pourtant celles de M. Millerand sont très fortes ; elles fournissent, sinon des argumens, au moins des armes aux partisans de la réforme électorale, qui ne manqueront pas de s’en servir, et on se demande avec curiosité de quel front, à la tribune, après avoir caractérisé ces mares infectes, le gouvernement conseillera à la majorité de s’y retremper. « Nous sommes dans l’incohérence, disait, il est vrai, M. Clemenceau : restons-y. » Le gouvernement actuel imitera-t-il cet exemple, qui finalement n’a pas réussi à M. Clemenceau ? Nous attendons mieux de M. Briand, nous attendons de lui qu’il sorte de l’indécision et de l’équivoque, Un gouvernement n’a pas le droit de faire la critique de nos institutions