l’emporter : sa victoire n’aura pas de lendemain. En effet, tous les hommes qui comptent dans le monde politique se prononcent résolument contre lui. Il y a quelques jours, M. Poincaré le condamnait. Plus récemment encore, M. Jean Cruppi ne se montrait pas pour lui moins sévère. Nous pourrions multiplier ces témoignages. Quelque force que donne à la médiocrité l’abondance de sa représentation, elle ne saurait prévaloir indéfiniment contre la croisade entreprise en faveur du scrutin de liste par les chefs et les principaux orateurs de tous les partis. Le scrutin d’arrondissement n’a été jusqu’ici défendu que par M. l’abbé Lemire, qui, dans un discours optimiste et bon enfant ; a affirmé que la Chambre était composée de braves gens et qu’elle était bien telle qu’elle est. Braves gens, c’est possible ; mais pauvres gens, c’est certain. S’ils sont nos maîtres, ils ne sont pas les leurs. Il faut les entendre, dans les couloirs, se plaindre de leur étroite dépendance à l’égard des exigences privées et des intérêts locaux les plus terre à terre. Ils gémissent, ils protestent, ils devraient dès lors, semble-t-il, être partisans de la réforme électorale qui allégerait leur servitude, si elle ne la faisait pas complètement cesser ; mais, avant tout, ils veulent vivre, comme le bûcheron de La Fontaine, et ils estiment que c’est assez. Assez pour eux peut-être, mais non pas pour le pays. Le pays, en effet, commence à se rendre compte du mauvais fonctionnement de la machine politique, et il en ressent un malaisé qui va toujours en grandissant. Des voix nombreuses, éloquentes, autorisées, lui indiquent à la fois le mal et le remède. Comment ne finiraient-elles pas par être entendues ?
En tout ceci, l’attitude du gouvernement est singulière : jamais on n’en vit de plus embarrassée. Il y a dans le ministère un certain nombre d’hommes de valeur qui, naturellement, sont pour le scrutin de liste et la représentation proportionnelle ; mais ils dépendent de la majorité actuelle et, s’ils croient pouvoir parler, ce dont ils ne se privent pas, ils sentent bien qu’ils ne peuvent pas agir, ce qui doit être extrêmement pénible à des hommes de réalisations. A la veille de la rentrée des Chambres, M. le président du Conseil est allé prononcer à Périgueux le discours que l’on sait. C’est un discours en faveur du scrutin de liste ; il n’y manque que la conclusion, à savoir la promesse de soutenir la réforme devant la Chambre. Cette conclusion devant laquelle M. Briand a reculé, il s’en faut de bien peu que M. Millerand ne l’ait admise dans un discours qu’il a récemment adressé à ses électeurs de Paris.
Après avoir fait à ce sujet les plus expresses réserves, nous négli-