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victuailles alignées dont l’énumération seule délie le goinfre le plus déterminé.

L’appétit de nos aïeux n’est qu’une légende que l’étude de leur table fait évanouir. Ils avaient les yeux plus grands que la bouche ; et c’était, par les yeux, à frapper l’esprit bien plus qu’à hommes, ici comme partout, étant tourmentés par l’opinion qu’ils ont des choses plus que par les choses elles-mêmes, l’amphitryon était fier d’offrir et les hôtes de se voir offrir à la fois toutes les sortes d’alimens que la cuisine pouvait mettre en œuvre.

Quand Louvois, en 1681, donne à la Reine un dîner en quatre services : le premier de 40 plats d’entrées, le second de 40 plats de rôtis et salades, le troisième d’entremets chauds et froids, le quatrième de dessert, nous nous doutons un peu que les 19 conviés à ce festin n’ont pas absorbé successivement une centaine de mets. Et nous voyons bien qu’un voyageur anglais plaisante lorsqu’il nous dit, sous Louis XV, avoir remarqué que, « si un Français a 500 plats à table, il mangera de tous et se plaindra en même temps de n’avoir pas d’appétit. » Qu’il y ait, au xve siècle, sept sortes de potages dans le gala donné au Roi par le comte de Foix, ou que l’on serve, chez un archevèque du xive siècle, trois « paires de soupes de diverses couleurs, » sucrées et sursemées de graines de Grenade, il en était jadis comme dans nos dîners d’aujourd’hui, où l’on ne prend qu’un potage, bien que souvent l’on en passe deux à choisir.

La division des repas en plusieurs « services » était conventionnelle, comme celle des sermons anciens en plusieurs « points ; » il ne faudrait pas conclure, en comparant les ordonnances somptuaires de Philippe le Bel, qui permettaient deux services, avec celles de Louis XIII qui en autorisaient trois, que les menus se fussent allongés du xiiie siècle au xviie. Suivant les époques, chaque « service » comportait un plus ou moins grand nombre de plats : dans tel banquet princier du xve siècle, divisé en sept services, le premier et le sixième consistaient seulement en hypocras blanc avec oublies, — gaufrettes ; — c’était, si l’on veut, l’intermède du « punch à la romaine, » en honneur sous Napoléon III et depuis vingt ans abandonné. Des épiceries et confitures « faites en façon de lions, cygnes et cerfs, » formaient le dessert, ou septième service ; et le cinquième, constitué par des