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tartes, darioles, plats de crème, oranges ou citrons confits, correspondait à notre entremets. Les deuxième, troisième et quatrième services étaient la partie solide du repas : poissons, pâtés à haute graisse, jambons et viandes de boucherie, volailles ou gibier. Nous continuons à classer les mets à l’ancienne mode en relevés, entrées ou rôtis, suivant leur nature et leur apprêt ; mais au lieu du maximum de cinq ou six plats, auquel se bornent nos « grands dîners » actuels, nos pères en faisaient apparaître au moins vingt et souvent plus de soixante répartis en deux ou trois étalages successifs.

II

Ce faste obligatoire n’était point pour encourager la ripaille. Gargantua lui-même n’aurait pu se gaver de tous ces plats pour cette raison très simple qu’on ne les lui eût pas servis : on les passait plusieurs à la fois, — autrement, certains repas auraient duré dix heures, — et la contenance de chaque plat, qui souvent nous est exactement connue, n’aurait pas permis de faire le tour de la table, si tous les convives avaient fixé leur choix sur le même. Aussi avait-on soin de multiplier en double ou en quadruple les exemplaires de certains mets que l’on savait appelés à plus de faveur, — petits pâtés ou boudins mêlés, — tandis que la plupart ne s’adressaient qu’à un petit groupe : les uns prenant soit les « pigeons à l’italienne, » soit les « pigeons romains aux truffes, » ou encore le « pâté chaud de pigeons ; » ceux-ci jetant leur dévolu sur les « queues de saumon au citron, » ou sur le « saumon en salade, » tandis que ceux-là préféraient les saumoneaux » ou la « hure de saumon » ; car ces divers plats voisinent sur un menu du xviiie siècle que j’ai sous les yeux.

Quand les ordonnances somptuaires, dont on n’a pas besoin de dire qu’elles furent toujours lettre morte, défendaient en 1563 ou en 1629, plus de trois services de six plats chacun au plus, elles avaient soin de spécifier que chaque plat contiendrait une seule sorte de viande ou de volaille, « sans que cette volaille pût être mise en double. » Le plat de chapon par exemple devait être d’un chapon et non de deux.

Le législateur craignait que, pour éluder ces prohibitions, demeurées d’ailleurs platoniques, sur le nombre des plats, les cuisiniers ne les remplissent davantage. C’est ce qui se luisait