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d’ailleurs et depuis longtemps, mais dans l’intimité, où la pyramide de viandes, « la pyramide éternelle, » dit Mme de Maintenon, constituait le fonds du repas familial. Cet amas de victuailles, où


Sur un lièvre, flanqué de six poulets étiques
S’élevait trois lapins, animaux domestiques…


cet entassement, décrit et raillé par Boileau, justement parce qu’il était ridicule dans un soi-disant dîner de cérémonie, cessa d’être en usage au commencement de la Régence.

Pour la belle ordonnance d’un festin, la règle voulait que la table fût couverte de plats différens. Mais la meilleure preuve que chacun de ces plats ne pouvait pas contenir grand’chose. c’est leur exiguïté. Les plats d’autrefois étaient généralement plus petits que les nôtres, bien que nous soyons portés à nous figurer le contraire ; leur taille médiocre nous est révélée par la comparaison de leur poids avec celui de nos plats actuels. Au- jourd’hui il ne se fait pas de plats d’argent d’un poids moindre de 850 grammes et les plats à rôti, destinés à une table de douze couverts, atteignent couramment 1500 grammes, sans y employer plus de métal qu’il n’est strictement nécessaire à leur solidité.

Or, dans l’argenterie du duc de La Trémoïlle en 1605, les « grands plats, » — ainsi sont-ils qualifiés, — pèsent 850 grammes, la « vaisselle moyenne » 570 grammes et les « plats de fruiterie » 430 grammes, c’est-à-dire moins qu’une de nos simples assiettes 500 grammes. Cent ans auparavant (1501) les « plats de cuisine, » — ainsi nommés pour les distinguer des plats de dessert, — pesaient 685 grammes seulement chez un grand seigneur. Chez le roi Philippe de Valois (1328), les plats d’argent doré pèsent 1260 grammes, les « plats à fruits » d’argent « nué » 245 grammes. Dans le célèbre inventaire de Charles V (1380), dont je parlerai plus tard, les « grands plats » ressortent à 1650 grammes ; les « plats à fruits » ne dépassent pas 382 grammes. Les « escuelles » chez ce même prince sont de 735 grammes ; mais il ne faut pas oublier qu’au xive siècle on mangeait plusieurs à la même écuelle.

Lorsque, cent cinquante ans plus tard, la mode vint de donner à chaque convive des assiettes séparées, leurs dimensions égalaient rarement celles des nôtres ; elles sont communément sous Louis XIV de 430 grammes et descendent à 300 et 250 grammes