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Parfois cette industrie s’exerce sous terre : les galeries des anciennes carrières parisiennes, de Passy à Vaugirard et de Montrouge à Chatillon, sont utilisées par 1 800 ouvriers champignonnistes qui entretiennent 2 000 kilomètres courans de meules de fumier, moyennant une dépense de 3 millions de francs par an. Grâce à une technique spéciale, qui met à profit les découvertes de la science pour utiliser le « blanc, » ou mycélium, et le défendre contre les microbes hostiles, ces cultivateurs souterrains tirent de leurs cavernes 7 millions de kilos par an de champignons de couche, d’une valeur brute de 8 500 000 francs.

La vraie révolution, en fait de légumes, est due à la pomme de terre. Importée d’Amérique en Irlande par John Hawkins, délaissée, réintroduite en 1628 par l’amiral Waltor Raleigh, la pomme de terre réussit en Angleterre et en Prusse sans pouvoir pénétrer en France, bien qu’elle eût été cultivée en 1655 au jardin du Roi. C’était alors une racine noueuse plutôt qu’un tubercule bien formé ; ses débuts, humbles et troublés, furent chez nous contrariés par la calomnie : elle passa pour vénéneuse, de la famille de la belladone, et des arrêts judiciaires la proscrivirent comme substance capable de donner la lèpre. Sous Louis XVI on en fit manger quelque peu aux animaux ; mais les 99 centièmes des Français, observe Arthur Young, refusaient de l’employer pour leur propre nourriture. Elle valait alors 12 francs le quintal. « La pomme de terre, écrivait en 1786 un intendant de province, pourrait, en cas de dernière disette, être mêlée pour les pauvres gens avec de la farine dont elle grossirait le volume. Il peut se faire que ce serait une ressource comme la racine de fougère, ce qui ne peut arriver que dans le temps d’une famine cruelle. »

C’était aussi à titre de pain de secours que Parmentier, Mustel et autres agronomes recommandaient le plus la propagation de la pomme de terre, et la panification est justement l’emploi auquel nos contemporains l’ont reconnue la moins propre. Les préventions furent si tenaces qu’en 1828, dans l’acte de location d’un jardin, il était enjoint au preneur : « ... de l’entretenir convenablement et surtout de n’y point planter la pomme de terre. » Pourtant, la récolte annuelle, évaluée en 1815 à 30 millions de quintaux, s’élève aujourd’hui à 120 millions d’une valeur de 680 millions de francs.