On conçoit à peine comment il était possible de se passer d’un aliment d’une consommation si générale. D’autant plus que celle des autres légumes a augmenté dans une mesure incroyable et que celle des farineux, tels que pois, lentilles, haricots, dont nos pères faisaient grand usage, ne parait pas avoir décru. Nous en achetons à l’étranger, et notre importation, qui comprend des fèves d’Égypte et des pois du Canada, a passé depuis 1867 de 380 000 quintaux à 1 250 000.
D’une date à l’autre les provenances changent, mais les arrivages grossissent ; le riz par exemple, que nous vendaient il y a cinquante ans le Piémont et la Caroline, nous est maintenant expédié par l’IndoChine et le Japon. Le riz, dont se nourrit plus de la moitié de l’espèce humaine, était une rareté dans la France du moyen âge où il coûtait 2 à 3 francs le kilo ; à la fin de l’ancien régime, à 1 fr. 20 le kilo, il demeurait objet de luxe. En 1870, il ne valait plus que 0 fr. 75 centimes, et nous en consommions 34 millions de kilos ; aujourd’hui, nous importons 110 millions de kilos que nous partageons avec les animaux de ferme, car une partie de ce grain ne vaut que 0 fr. 25 centimes.
Le seul légume qui ait enchéri, c’est la truffe. Non qu’elle soit devenue plus rare, au contraire ; nos pères ne connaissaient que les truffières naturelles ; nos contemporains en ont créé d’artificielles par la culture en terrains propices du principe organique de ce champignon précieux. Aussi la récolte se vendait-elle sur le pied de 35 francs le kilo, il y a trente ans, au lieu que son prix de gros n’est aujourd’hui en moyenne que de 15 francs sur les marchés d’origine du Comtat-Venaissin ou de Provence. Le Périgord en effet, malgré sa réputation, n’est que le cinquième sur la liste des départemens truffiers, avec 160 000 kilos, tandis que Vaucluse, les Basses-Alpes, le Lot et la Drôme fournissent ensemble 1 400 000 kilos.
Chaque année, de temps immémorial, les communes favorisées de la présence de ce tubercule mettent en adjudication le droit exclusif de sa recherche sur leur territoire forestier. Ce tribut qui, sous Louis XV, représentait quelques centaines d’écus, figure aujourd’hui pour 30 000 et 40 000 francs dans certains budgets ruraux, dont il est le plus beau revenu. De Henri IV jusqu’à Louis XVI, la valeur courante du kilo de truffes était montée de 3 à 5 francs ; si elle a triplé et quadruplé depuis, c’est que la vogue de cette denrée a de beaucoup dépassé