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au véritable idéal de la démocratie. Ne contredit-elle pas la division du travail, grande loi de l’organisme contractuel comme des autres organismes ? Ne contredit-elle pas la loi non moins importante de solidarité sociale, sans laquelle encore il n’y a point de vraie démocratie ? À tout vouloir égaliser, à admettre tous à tous les emplois sans demander, pour les emplois supérieurs, des conditions supérieures de culture générale, on aboutit à tout rabaisser, à compromettre à la fois toutes les fonctions de la vie collective. Il doit y avoir dans la démocratie des organes et milieux différens, selon la différence même des travaux et des liens de solidarité. C’est une injustice que de vouloir flétrir ces différences de milieux en les traitant de « castes » ou de « classes. » La vérité est qu’il faut des « élites, » fondées non sur des privilèges, mais sur des supériorités naturelles ou acquises. Ce qui légitime les divers degrés d’enseignement et les divers types d’un même degré, ce sont ces milieux divers à entretenir, non à confondre. Le milieu primaire n’est pas le milieu secondaire ; le milieu classique n’est pas le milieu « spécial » ou « moderne. » Et il est nécessaire pour les démocraties que les atmosphères ne soient pas partout les mêmes : comme il y a des plantes qui ne poussent que dans la plaine, il y en a qui ne croissent que sur les sommets.

Il existe notamment, sous le régime démocratique comme sous les autres, des fonctions ou, pour mieux dire, des missions sociales qui, n’étant point des « métiers » à l’usage des individus, doivent se recruter dans l’élite intellectuelle, parce que, en dehors, elles ne sauraient vivre. Le jour, par exemple, où la magistrature ne sortira plus d’une élite, il n’y aura plus de magistrats ; il ne restera que des manœuvres en droit, chargés d’apprendre les articles du Code et de les appliquer avec plus ou moins de servilité, pour gagner un certain salaire. Le jour où la médecine ne sortira plus d’une élite intellectuelle, vous n’aurez que des artisans en thérapeutique et en chirurgie. Le jour surtout où le professorat ne sera plus lui-même une élite, vous n’aurez que des manœuvres en préparation scientifique ou littéraire, analogues aux plus humbles préparateurs des cabinets de physique et de chimie ; l’éducation aura vécu et l’instruction même sera bientôt morte, parce que, malgré les apparences contraires, une certaine hauteur d’éducation est la condition même d’une haute instruction.