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V

Quels sont les principaux moyens d’éviter, dans l’ordre pratique, les écueils dont les démocraties sont menacées ? Sans empiéter sur le domaine des hommes d’Etat, le philosophe a le devoir de poser les règles les plus générales.

Nous avons vu que le fondement de la science politique devrait être ce principe, également opposé au despotisme et à l’anarchie, que la nation est tout à la fois un contrat social et un organisme social. Pour que le Parlement « représente » la nation, il faut donc qu’il en exprime les deux aspects essentiels. Selon nous, c’est l’objet des deux Chambres, considérées au point de vue sociologique et moral. La Chambre des députés répond au contrat social, c’est-à-dire au consentement des volontés libres et égales, qui s’entendent pour faire la loi et pour diriger la politique générale. Nous verrons tout à l’heure que le Sénat devrait exprimer l’organisme social et ses fonctions permanentes. De là dérivent la légitimité et la nécessité du suffrage universel, appliqué à l’élection des députés. L’organisation de ce suffrage est ce qu’il y a de plus essentiel dans une démocratie, puisque tout le reste en dépend. La première condition du progrès politique, en France, c’est de répandre dans la nation entière cette idée que notre façon actuelle d’élire nos députés, quoique reposant sur un fondement de justice, aboutit à violer la justice dans la pratique ; que, par conséquent, au lieu de considérer notre mode de suffrage comme l’objet d’une adoration béate et d’un noli tangere, il en faut faire un objet constant d’étude et de réforme en vue d’assurer les droits de tous.

Notre démocratie est ici victime d’une erreur sociologique. Ou vous ne groupez pas les électeurs, et vous avez alors, pour tout un pays, l’unité de collège ; ou vous les groupez par circonscriptions, et alors vous introduisez manifestement l’idée d’un certain ordre d’intérêts et de droits attachés à ces intérêts. Il s’agit donc, pour être logique, de savoir si les circonscriptions territoriales sont les plus justes groupemens d’intérêts et de droits. Or, les intérêts ainsi groupés ne sont que locaux ou régionaux. Si ce n’est pas le clocher même, c’en est chose bien voisine. Dans un même arrondissement, la majorité est ou agricole, et veut alors le protectionnisme, ou commerçante, et veut